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C’étaient ceux-ci qui avaient raison, sans que les premiers eussent tout à fait tort. L’alerte avait été causée par un rapport de V…, le célèbre aviateur, qui, patrouillant en aéro dans la région de Woumen, avait remarqué une activité singulière des Allemands sur l’Yser, où plusieurs passerelles volantes venaient d’être lancées. Ces préparatifs semblaient l’indice d’un imminent retour offensif de l’ennemi. En prévision de l’attaque redoutée et dans l’incertitude où l’on était du degré de solidité des territoriaux qui gardaient l’Yser, le commandant de la 8e armée faisait appel à la brigade et lui demandait un dernier effort.

À quatre heures du matin, le 24 novembre, branle-bas général. Tous les hommes valides sont debout. On expédie le « jus. » Il fait nuit, mais la neige éclaire le chemin. Départ à six heures un quart pour un carrefour, sur la route de Gravelines à Dunkerque, où les autobus doivent nous prendre. Et déjà la température est moins rude ; les vents ont passé au Sud ; la neige fond. C’est le dégel et de nouveau la boue.

L’intendance n’a pas eu le temps de procéder au rééquipement des hommes ; ils ont aux pieds les mêmes savates éculées ; ils grelottent et les autobus tardent. On les attend près d’une heure en battant la semelle. Une sourde trépidation du sol annonce enfin leur approche : il y en a près de cent cinquante, de tous les gabarits, de tous les calibres, uniformément peints en ce gris de fer qui est la couleur de la guerre moderne. Le service semble bien organisé et nos officiers en feront grand éloge. Quant aux marins, pour qui ce genre de locomotion est une nouveauté, ils manifestent une joie d’enfans. C’est au milieu des chants et des lazzis que le bruyant convoi traverse au petit jour Dunkerque, Bergues, Hondschoote, Leysele, où ne veille plus aucun douanier. Sans les poteaux-frontière, rien n’indiquerait que nous avons quitté les « moëres » du Nord pour les glèbes de la Flandre occidentale, tant ce lambeau de Belgique est aujourd’hui mieux cousu à la France qu’à son propre territoire !… »

On ne sait toujours où l’on va. Des villages émergent tout d’une pièce de la brume : Isinberghe, Rexpode, Gyverinchove, et y rentrent à peine sortis. Encore une bourgade : Linde. Cette fois on stoppe : les autobus ne vont pas plus loin. La brigade descend, mais garde sa formation jusqu’au retour des