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sortes d’associations que vous condamnez à ne pas même se former. Quelle ne sera pas dès lors la prépondérance abusive de ce groupement à la fois si nombreux et si exclusif entre les mains duquel vous allez accumuler des moyens financiers de résistance et d’action subversive ; mais il faut dire aussi des moyens de mettre la masse des ouvriers sous la tyrannie d’un petit nombre de meneurs ? Et les dernières paroles de ce discours richement documenté évoquaient l’imago de l’Internationale, c’est-à-dire d’une force « révolutionnaire et spoliatrice » dont les héritiers directs allaient être envoyés en possession d’un mandat officiel, reconnu et consolidé. Malgré les habiles efforts de Tolain, le Sénat donna gain de cause à M. Bérenger, à 53 voix de majorité. La Chambre des Députés repoussa sa solution. M. Bérenger résista de nouveau et fit de nouveau repousser par 136 voix contre 117 son amendement contre les unions de syndicats de professions diverses.


Si désireux qu’on puisse être d’en venir à la partie la plus remarquée et la plus populaire des travaux de M. Bérenger, il est impossible de ne point s’arrêter encore sur cette partie de sa vie parlementaire où s’achève le caractère politique et où se dessine le caractère social de sa mission. Le souci persévérant de la liberté, mais de la liberté aidée, assistée, moralisée, assurée de trouver justice et protection pour tous les intérêts légitimes, faisait le fond de toutes les réformes auxquelles il aspirait. Pour que nul ne craigne de ne pouvoir obtenir finalement justice, il faut que la magistrature soit libre, mais il faut que les œuvres le soient aussi, que soit libre surtout le dévouement de ceux qui exercent le patronage sous toutes ses formes charitables et religieuses. Que la politique respecte d’abord la liberté de la magistrature, et la liberté générale sera délivrée d’un de ses plus obsédans cauchemars.

Suivant M. Bérenger, qui se séparait ici, même à l’Institut, de quelques-uns de ses meilleurs amis[1], l’espèce de morcellement de la justice, qui s’accusait de plus en plus dans les institutions contemporaines, lui semblait un grave abus. Partisan résolu de l’unité de juridiction, d’après lui, conquête véritable

  1. Dans une discussion à l’Académie des Sciences morales.