Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/587

Cette page a été validée par deux contributeurs.

devenu, quand, quelques jours plus tard, à Dunkerque, on arrête un marin qui, à toutes les questions qu’on lui pose, répond par une face de bois. C’était notre « marmite. » Le 24 octobre, en présence du premier maître Robic et du matelot Le Vally, le même fait s’était produit : une marmite éclate près d’un homme ; celui-ci est projeté à cinq mètres de haut, retombé, demeure quelque temps immobile, puis, comme sous l’action d’un déclic, se relève et file à une allure telle que, « malgré les préoccupations du combat, on reste à le regarder. »

Hystéro-traumatisme avec manifestation ambulatoire, diagnostiquent les médecins. Mais, sans prendre cette forme aiguë, on constaterait dans toute la brigade un état de nervosité qui, à la longue, pourrait devenir inquiétant. Le commandant Geynet en est frappé. Nouveau venu à la brigade, il a encore tout son calme, bien que lui-même soit essentiellement un nerveux. Au fur et à mesure que les journées de cantonnement avancent, il note : « Les marins se refont, les yeux sont moins brillans, les traits se reposent. » Et le 1er décembre : « Cet exercice dans la campagne, de 1 heure à 4 heures, est bon, cela reforme les hommes. Les figures se remplissent, les yeux sont moins fiévreux, moins cernés… » Mais il faudra bien des jours pour que l’âme et le corps, chez ces hommes, reprennent leur niveau. « Nous n’en pouvions plus après le 10 novembre, » confesse un de leurs officiers[1]. Et, au dernier moment, si on les eût écoutés, peut-être ne les eût-on pas relevés encore. À quel sentiment complexe obéissaient-ils ? Le même officier nous l’apprend : sur les routes où ils s’enfonçaient tout à l’heure, ce n’était pas la tristesse seulement, un regret nostalgique, qui alourdissait leur marche, c’était aussi le doute, la crainte de n’avoir pas assez fait, puisqu’ils n’avaient pas su garder Dixmude.

L’étrange scrupule ! Pourtant on les a cités, dès le 26 octobre, à l’ordre du jour de l’armée ; un ancien ministre de la Guerre britannique, le colonel Seely, qui les a vus à l’œuvre sur l’Yser, leur a dit le 27 : « Vous avez sauvé la situation[2]. » Et un officier français du même grade, le colonel de cavalerie Le Gouvello, en termes plus pittoresques leur a exprimé la

  1. Lieut. de v. F… Corresp. part.
  2. « Le colonel Seely, ancien ministre de la Guerre, est venu ces jours derniers visiter notre front, il nous a dit que nous avions sauvé la situation par notre résistance. » (Carnet du lieutenant de vaisseau de Perrinelle.)