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aux prières du docteur Petit-Dutaillis, il promit de nous venir en aide, bien qu’il eût l’ordre formel de « ne pas exposer ses voitures. » S’était-il engagé à la légère ? La nuit s’avançait, les autos belges n’arrivaient pas. Et le bombardement redoublait.

« L’attente fut longue, écrit le docteur Petit-Dutaillis. Sur une chaise, Le Marc’hadour, exténué, s’était endormi d’une pièce ; son aide Arnould s’occupait des blessés de la grange voisine ; le bon aumônier Pouchard, la tête dans une main, conversait avec Dieu. Des obus de campagne, vomis par une batterie allemande amenée non loin du pont, passaient en sifflant devant notre porte, puis détonaient un peu plus loin ; sur le pavé, sur nos murs, les balles grêlaient ; et, dans les champs voisins, les dernières marmites de la fête s’écrasaient. Nous attendions celle qui, en toute probabilité, devait nous rendre visite, quand, dans un moment d’accalmie, cinq autos d’ambulance belge lancés à toute allure s’arrêtèrent devant le poste. Comment, sur cette route balayée d’obus, ont-ils pu être chargés sans lumière et arriver à Forthem sans accident ? Comment avons-nous pu nous porter de ce poste de secours avancé sur le second avec tout notre matériel à des d’homme ? Comment de ce point Arnould put-il encore aller relever les derniers blessés signalés dans les tranchées de l’Yser et que nous enfournâmes dans une voiture à chevaux quérie à quatre kilomètres de là ? Comment, avec ce dernier convoi, pus-je regagner mon ambulance régimentaire, sous une pluie incessante d’obus qui maintenant nous prenaient de flanc et durant tout le jour avaient défoncé la route, tout cela sans avoir aucune perte à déplorer ? » Le docteur Petit-Dutaillis se le demande encore, mais il ajoute, — et c’est peut-être une explication à ses yeux, — que « le bon abbé Pouchard » ne l’avait pas quitté d’une semelle au cours de ce miraculeux transbordement.


II. — L’ADIEU À DIXMUDE

« Mon cher oncle, écrira le 18 novembre l’enseigne de Cornulier-Lucinière[1], veuillez m’excuser si je vous ai adressé

  1. Lettre au général de Cornulier.