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qui se donne au soulagement de plus pauvres qu’elle, la paysanne obscure, si proche de la terre qu’elle en reflète le hâle, qui, sa tâche accomplie, adore dans la soumission parfaite de son cœur, héroïsmes qui s’ignorent, dévouemens qui se dépensent, souffrances imméritées qui s’offrent, voilà les impondérables dont le poids fait pencher le plateau de la balance. Ne demandez pas à ces simples ce qu’ils doivent à leur milieu ; c’est en eux-mêmes qu’ils puisent leur force. Un aiguillon les pousse à créer de la beauté comme de la bonté. Et c’est par eux aussi que le milieu progresse. Ils sont le ferment de la masse, l’élément qualitatif qui accroît et élève la vie, puisqu’ils touchent à l’éternel.

L’histoire est une coopération. La société doit à chacun de nous, autant peut-être que nous lui devons, et cet échange incessant de services lui permet de se renouveler toujours. Je sais bien ce que nous diront encore les défenseurs du mécanisme : qu’une loi fatale condamne les peuples à naître, à grandir, à décroître, sans qu’aucune force humaine ne les sauve de la fin. — Combien plus consolante pourtant et plus vraie cette vieille maxime des Saints Livres : « Dieu a fait les nations guérissables !… » Et, sans doute, il y a des nations qui meurent : mais moins de l’usure du temps que de la fatigue de vivre. Ce n’est point parce que la vie physique se retire d’elles, c’est qu’elles-mêmes se retirent de la vie. Elles en laissent s’assécher la source : l’esprit de discipline, de dévouement, la croyance à un idéal, la pratique des vertus privées et publiques qui perpétuent les États comme les familles. Un peuple ne meurt pas quand il garde son âme, et cette âme, lui seul peut la sauver ou la perdre. De ces réveils inattendus, quel admirable exemple que notre propre histoire ! Plus que toute autre nation peut-être, la France a connu les plus grands déclins et les plus étonnantes fortunes ; elle est passée presque en même temps de l’humiliation à la gloire, des sommets aux abîmes, des déchiremens intérieurs à l’union, des démembremens à la conquête. Il semble que, dans cette suite de contradictions, sa loi propre soit d’être au-dessus de toute loi. Une des leçons de cette guerre sera de lui avoir rappelé une fois de plus sa destinée. Hier encore, un pays divisé, indifférent, enlizé dans la poursuite du bien-être ou les querelles des factions, si endormi par ses rhéteurs qu’il ne songeait plus à se défendre, si anémié dans