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les possède, seul les communique, nous nous refuserons à croire que notre appel reste sans écho, destiné à s’éteindre dans les espaces muets d’un univers insensible. Penseurs et savans pour qui la raison et la nature postulent Dieu, ne se résoudront jamais à l’exclure de la vie de l’humanité.

Ces faits ne sont que des exceptions. L’homme est la cause visible de l’histoire. Et, s’il est dans l’histoire, que peut-elle sur lui ? Que peut-il sur elle ? Est-il comme accablé de son poids ? Ou bien est-il apte à se libérer de la contrainte que lui imposent son temps et son milieu ?

Notre XVIIIe siècle, tout imprégné d’idéalisme et d’esprit classique, avait proclamé le pouvoir absolu de l’individu sur la société. Cette théorie était fausse. Sous l’influence des sciences positives, il a bien fallu reconnaître ces lois de dépendance qui nous rattachent au passé comme au présent. Nous ne sommes pas des isolés dans l’ensemble. Notre vie qui prolonge, et qui prépare celle des autres ne se suffit pas à elle-même. Elle reçoit l’empreinte des générations qui nous ont précédés comme de celle qui nous entoure. Chacun de nous plonge dans la réalité sociale, de même que la plante dans le sol : éducation, mœurs, habitudes, tous ces progrès accumulés nous donnent nos premières idées et guident nos premiers pas. Mais, dans cette réaction contre le philosophisme, biologistes ou sociologues n’ont-ils pas trop sacrifié l’individu ? Nous croyons, au contraire, que les lois d’hérédité et d’adaptation ne sont pas les seules. Si l’histoire doit faire une place à l’intelligence comme à l’action, l’homme échappe au joug. Sa dépendance n’est plus que conditionnelle, et, à son tour, c’est sur la société qu’il peut agir.

Le grand homme sera toujours la revanche de la liberté. Ce politique qui, de ses mains puissantes, pétrit l’âme et la forme de son peuple, ce savant, qui, dans le silence du laboratoire, découvre une loi inconnue ou des puissances et des existences insoupçonnées, ce saint, dont la parole et l’exemple entraînent, exaltent, rénovent les âmes, tels sont, chacun à son heure, les maîtres de l’histoire. Les grandes créations ou les grandes découvertes ont toujours frayé les voies nouvelles où s’engage le monde. Mais le génie lui-même, qui nous l’expliquera ? L’hérédité ? Rien ne montre une sélection lente et continue le préparant à naître. L’histoire le découvre aussi bien dans les patriciats que dans les rangs les plus obscurs. Les