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L’homme, lui, est en face, non du nécessaire, mais du possible. Aucun calcul de probabilité n’est ici recevable. S’il est, au contraire, une certitude, c’est que, tôt ou tard, l’imprévu viendra s’insérer dans la trame des choses pour en changer le cours.

De ces élémens, quelques-uns nous sont étrangers. Extérieurs à l’homme, ils entrent, comme un accident, dans l’histoire. Que de fois l’avenir du monde s’est joué sur un coup de dés ! Il y a des jours, où, tel un gagnant heureux, l’homme d’action n’a qu’à abattre les cartes qui décident de la victoire. Tout le sert : ses fautes, les circonstances, l’inattendu. Ailleurs, les plans les plus sages, les mesures les mieux concertées avortent sous la chiquenaude de quelque fait insignifiant. Cournot avait déjà, avec sa rigueur habituelle, analysé cette réalité du hasard. Mais une philosophie compréhensive y ajoutera encore la part de l’inexpliqué. L’histoire nous offre quelques-uns de ces faits déconcertans qu’aucune cause ne semble préparer, qu’aucune raison ne peut comprendre. Que, par exemple, une petite bergère de seize ans, perdue dans un village de la Meuse, ait pu se croire une mission et la prouver par ses victoires, qu’en dépit des intrigues de cour, de la grossièreté des camps, des perfidies de ses conseillers, de la haine de ses ennemis, elle soit restée pure, confiante, inébranlable dans sa foi, qu’abandonnée de tous, seule contre les docteurs, les juges, les hommes de loi ou les hommes d’église, tout ce qui était alors le savoir et le pouvoir, cette enfant ait réussi, non seulement à se défendre, mais à accuser et à confondre ses bourreaux, qu’elle ait prononcé quelques-unes des plus belles paroles que l’humanité ait entendues depuis l’Évangile, que cette mort rédemptrice ait sauvé la France, et, avec elle, par elle, le plus haut idéal religieux du monde, quelles explications positives nous donneront la clé de ce mystère ? Renan a dit avec son scepticisme souriant et superficiel : « On n’a pas constaté une seule fois la trace d’une main intelligente venant s’insérer momentanément dans la trame serrée des faits. » En sommes-nous aussi sûrs ? Un doute planera toujours sur de pareilles affirmations. Nous ne connaissons plus l’ἀνάγϰη (anangkê) antique, la déesse impassible et implacable qui broyait l’homme sous la fatalité de son vouloir. Mais s’il est une vie au-dessus de la nôtre, si notre conscience ne nous trompe point, si bien, vérité, justice ne sont pas de simples formules de notre esprit ou des illusions de notre cœur, si l’Infini, qui