Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/515

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas moins variables dans leur durée, inégales dans leur intensité. Leur complication fait le jeu de l’histoire, ce jeu que la première tâche du savant est, précisément, de suivre, de surprendre, de nous révéler.

Cette unité, que nous cherchons en vain dans la genèse du mouvement évolutif, se trouve-t-elle au moins dans sa marche ?

Toute philosophie mécaniste conduira toujours à affirmer un processus rectiligne et continu des choses. Il semble que la vie de l’humanité doive passer par une suite de formes, de déterminations, qu’une loi rigoureuse engendre les unes des autres. Celle qui vient prépare celle qui la suit, et, une fois remplacée, disparaît sans retour. Ainsi se découvre un ordre de succession immanent à l’histoire. Nous avons vu quel parti le pangermanisme a tiré de ces idées. Mais ce concept n’est pas spécial à l’Allemagne. De Hegel à Comte, de Spencer à Marx, Lamprecht, Naumann, il se retrouve dans la plupart des théoriciens de l’évolutionnisme. Il n’a pas été appliqué seulement au fait politique ; il a servi à relier entre eux les phénomènes intellectuels ou les phénomènes sociaux. Comte nous avait révélé les trois âges de la pensée. Le socialisme nous a décrit ceux de la propriété, de la production et du travail. — Théories séduisantes, puisqu’elles insèrent un plan et un progrès dans l’histoire. Théories commodes, puisqu’elles la plient à nos préférences et la conduisent, non à ses fins, mais aux nôtres. Théories artificielles, puisqu’elles assimilent l’humanité à la nature inerte et prétendent arbitrairement sectionner et limiter la vie.

Sous quelle forme se fait donc l’évolution ? Ici encore, les faits nous arrêtent. — Parcourons ceux de la série économique. La théorie qui prétend nous décrire les états successifs de la propriété, collective, familiale, individuelle, en attendant la propriété sociale, se heurte à leur formidable contradiction. Il est prouvé aujourd’hui que toute l’antiquité, même la Germanie, a connu l’appropriation privée du sol. Et au Moyen Age, c’est de la propriété individuelle que nous voyons sortir la propriété collective. Celle qui apparaît alors n’est pas la survivance d’un ancien droit, mais une création, l’octroi d’un seigneur à ses paysans. — L’histoire du travail nous présenterait des variations semblables. Petit patronat, travail individuel et libre ont existé à Athènes et à Rome. Ils se sont hiérarchisés en professions. Puis est venu un temps où ces grands corps de métiers