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s’est accomplie. — Et pareillement encore, au lendemain des invasions, est-ce la violence qui a organisé l’Europe ? Mais l’organisation s’est faite contre la violence. Le monde a voulu alors le bienfait de la paix. Il en a cherché le principe dans l’accord des volontés individuelles ou collectives. Une foule de petits pactes se sont établis, réglant le droit privé, la profession, les institutions. Le régime du contrat se substitua au régime de la force. Jamais, malgré des abus inévitables, l’homme n’eut des relations sociales une idée plus haute. On sait combien, dans le même esprit, le pouvoir spirituel essaya d’organiser l’Europe, sans y réussir. Au moins, le principe d’équilibre, la diplomatie, la multiplicité des accords commerciaux et politiques furent-ils un progrès de la loi de la paix sur la loi de la guerre. Tarde a remarqué avec infiniment de raison que l’humanité a connu des périodes « d’apaisement intermittent et bienfaisant. » La concurrence vitale elle-même s’est transformée, et ce sera l’honneur éternel de notre siècle d’avoir cherché à insérer dans les faits l’idéal d’une libre coopération des peuples. Que nous parle-t-on alors d’un principe universel ? La guerre est une loi inévitable ; elle n’est pas la seule. Elle a pu être parfois une condition de progrès ; plus souvent, une régression ; et un fléau, toujours.

L’histoire est infiniment moins simple que nous l’avions cru d’abord. Toute conception, idéaliste ou matérialiste, qui voudra la soumettre à un moteur universel, s’exposera toujours à laisser une partie des faits échapper à l’engrenage. Bien au contraire. Sous la diversité des phénomènes, l’analyse nous découvre l’enchevêtrement des causes. Pas plus que notre vie individuelle, la vie sociale n’est le produit d’un dynamisme unique. Regardons de plus près. Une foule d’agens obscurs poussent à la roue. Ici, la nature, là, le milieu ; d’un côté, les forces inférieures de l’humanité, l’instinct, le besoin, le désir ; de l’autre, ses aspirations les plus nobles ; par ailleurs, quelque grande découverte, ou simplement le sens de l’imitation ; tantôt, enfin, l’initiative du pouvoir et de la loi, tantôt la poussée de la masse. Il n’est même pas sûr que le mouvement provoqué par une cause déterminée obéisse à l’impulsion initiale. Que de révolutions religieuses ont bientôt dégénéré en guerres politiques ! Mais la machine, avance toujours. Et les énergies qui l’entraînent, si diverses dans leur aspect, ne sont