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que gagnera ces précisions. Qu’est donc l’histoire, en vérité ? Un simple récit des faits ?… Elle nous apprendrait peu de choses, si elle se bornait à raconter ou à décrire. Comme toute science, elle aspire à atteindre, à étreindre le réel. Or, ici, le réel, c’est le passé humain. Restituer les formes d’agir, de penser, de sentir d’un milieu ou d’une époque, en saisir les liens intimes de coexistence et de succession, pour tout dire, remonter la durée, et, derrière ces sociétés mortes, retrouver la vie, voilà son objet. Cet objet lui dicte sa méthode. L’histoire observe des faits. Comme elle ne voit les faits qu’à travers les témoignages, elle sera donc la critique des documens. Mais comme les faits ne sont que des débris épars, elle est aussi l’induction qui les rassemble, les compare, les interprète. C’est alors qu’elle ne suffit plus à sa tâche. L’humanité plongeant dans la nature, comment la nature serait-elle à l’historien un livre clos ? Explorant lui-même l’humanité, comment ignorerait-il les sciences qui étudient l’homme ? Géographie, biologie, physiologie, psychologie surtout, lui apportent tour à tour les résultats de leur enquête. Prenons garde cependant que l’histoire qui se sert de ces sciences ne se confond pas avec elles. Distincts sont leurs objets, comme divers les procédés, inégales les certitudes. Elle leur fait place dans ses conseils, mais à titre consultatif. Elle s’empare de leurs données, mais pour les confronter aux siennes. Toute idée qui lui vient du dehors doit préalablement se soumettre à son contrôle ; à l’expérience historique seule doit rester le dernier mot. Le métaphysicien peut découper arbitrairement dans le réel. L’historien l’observe tout entier et n’admet comme vraie qu’une conclusion qu’un nombre suffisant de faits ont vérifiée.

Qu’entre ces faits constatés et démontrés des relations puissent s’établir, que de leur masse se dégagent des notions générales, nous ne saurions le nier. Il y a, en ce sens, une « philosophie » de l’histoire. Mais cette philosophie n’est valable qu’en tant qu’elle procède du donné positif. Nous lui demandons non ce qui doit être, mais ce qui a été. Elle sort du réel ; nous ne la posons pas sur le réel. Le plan de l’histoire, s’il y en a un, ne se découvre pas plus a priori que le plan de la nature. Il nous faut renverser du tout au tout le principe de Fichte et de Hegel, à savoir : « que la philosophie de l’histoire doit être séparée de l’histoire », ou encore, que « la