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prodigieux des sciences, que de découvertes l’Allemagne moderne s’est appropriées, dont elle a surtout perfectionné l’application !

L’Allemagne a plus profité du progrès général qu’elle n’y a contribué. Cette vérité incontestable renverse la théorie qui fait du germanisme, depuis quinze siècles, le centre de l’histoire. — Celle qui, au nom du développement, lui confie l’organisation nouvelle du monde, et prédit la fin des petits Etats, l’hégémonie d’un seul, est-elle mieux justifiée ?

L’impérialisme n’est pas nouveau. Le monde a connu ces empires unitaires édifiés sur les débris des cités ou des peuples. Mais un premier fait mérite notre attention. Ces grandes dominations n’ont été elles-mêmes qu’un moment de l’histoire. On sait combien les monarchies d’Orient furent éphémères. La Perse, la mieux organisée de toutes, se maintint deux cents ans. Le khalifat arabe s’est démembré moins d’un siècle et demi après l’hégire. Vingt-cinq ans ont suffi à détruire l’Empire d’Alexandre. Seule, Rome a su durer. La lenteur de ses conquêtes en assurait la force, car elle avait un don plus précieux encore que de vaincre, celui de gouverner. Ce fut le génie des Césars de maintenir sous l’unité des lois, de l’administration, de la justice, les coutumes, les religions, les libertés locales. Ainsi, ces populations diverses, groupées dans une même reconnaissance pour les bienfaits de Rome, ne sentaient point son joug. Et il semblait qu’un tel régime, créant l’ordre dans la paix, fût éternel. Dès le premier siècle cependant, s’annoncent les fissures. A la mort de Néron, la Gaule, la Germanie se révoltent. Flaviens et Antonins restaurent l’ordre. Après eux, le sourd travail de destruction opère toujours. L’Orient et la Bretagne seraient perdues sans les Sévères. Au IIIe siècle, l’Empire tout entier menace de se dissoudre. Sous leurs Césars locaux, Gaule, Espagne, Afrique, Orient retrouvent leur vie propre. Il faut la rude main de ces grands soldats qu’élèvent les légions pour sauver l’unité romaine. Ils forgent l’armature nouvelle, l’étau de fer qui va fixer chacun dans sa condition, dans sa fonction, régler la vie privée comme la vie publique, le travail comme la croyance. Mais déjà le pouvoir d’un seul ne suffit plus à la tâche. Et dans ces partages, ces compétitions, où s’affaiblit l’autorité suprême, se décompose la société. Quand les Barbares entrent dans l’Empire, il