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Germanie divisée contre elle-même. Cette idylle patriarcale que Lamprecht nous décrit n’est qu’une suite de guerres sans trêve et sans merci, de perfidies et de massacres. Dans ce désordre intérieur où s’effondrent les anciens Etats, une seule force survit, le « compagnonnage. » Des hommes se donnent à un chef, s’accouplent à sa fortune. Mais ce sont précisément cette instabilité, cette dispersion qui créent une menace perpétuelle contre le monde romain. Ces bandes qui défendent l’Empire ou l’envahissent, tantôt alliées, tantôt hostiles, toujours prêtes à servir comme à trahir, ne sont que des débris de peuples qu’aucune idée commune ne relie, sinon l’amour du pillage, des aventures, du désordre, le besoin permanent de s’établir en pays ennemi sur d’autres terres, sous d’autres cieux.

Ce qu’il faut dire, c’est que, ni avant les invasions, ni pendant les invasions, un seul témoignage ne décèle cette « conscience nationale » de la Germanie. Il faudra les conquêtes de Charlemagne, l’incorporation à la société chrétienne, les partages du nouvel Empire pour révéler à l’Allemagne cette unité d’idées, d’intérêts, de destinées, qui forment une nation. En cela, sa genèse ne diffère pas sensiblement de celle des autres États européens. — Un autre trait de ressemblance est que, si grande que soit sa place parmi les peuples, celle-ci n’est pas la seule. L’Allemagne a été un facteur de l’histoire, non le facteur prépondérant.

Nous n’ignorons pas qu’elle se rend un autre témoignage et qu’à entendre le dernier de ses historiens, après avoir régénéré et civilisé l’Europe, elle lui communique encore toutes ses vertus. « Les Germains, les Allemands ne se sont-ils pas, depuis que nous les connaissons, depuis l’époque où leur développement est observable… sacrifiés jusqu’à la négation d’eux-mêmes ?… N’ont-ils pas transfusé leur sang à la France, à l’Angleterre, à l’Italie, à l’Espagne, pour leur permettre de se former et de grandir ? les premiers, révélé au monde le culte de la femme, les mœurs de la chevalerie, et après… la société chevaleresque, créé celle de la Renaissance ? Quand, enfin, se sont approchés les temps modernes, n’est-ce point encore l’émigration allemande qui a recommencé à répandre dans le monde les qualités propres à la race, et qu’aucune autre ne possède : la discipline, le zèle, l’idéalisme allié à l’activité la plus pratique… le sens du droit et de la vérité ?… » De qui Lamprecht