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tendances naturalistes de l’école nouvelle. On ne saurait dire cependant que l’influence de Fustel ou de son école ait prévalu ; et ceux mêmes qui critiquaient les théories historiques de l’Allemagne avaient-ils saisi le lien intime qui les unissait à sa politique d’expansion ?

Le doute n’est plus permis aujourd’hui. Il est même superflu de montrer que cette philosophie de l’histoire est, plus encore qu’une théorie spéculative, le vernis intellectuel donné aux appétits de la race. Mais, puisqu’elle s’affirme au nom de la science, c’est avec les méthodes de la science qu’il lui faut répondre. Elle formule à la fois une représentation et une explication des faits : voyons quelle part de vérité cette représentation, cette explication enferment.

En premier lieu, au tableau tracé par les historiens, nationalistes ou pangermanistes, du développement de l’Allemagne, de celui de l’Europe, quelle valeur devons-nous attacher ?

Il n’est pas de problèmes plus intéressans que ceux des origines. Peu sont plus obscurs. Savons-nous grand’chose de la Germanie primitive, avant César, avant Tacite ? Presque rien. Quelques textes empruntés à d’anciens périples, des traditions consignées par Hérodote, Aristote et Strabon, et c’est tout. Or, que nous disent-ils ? Que, vers le VIe siècle avant notre ère, cette immense plaine comprise entre l’Elbe, le Jutland, la mer et le Rhin était habitée, que ces populations portaient un nom, nom qu’elles s’étaient donné à elles-mêmes, celui de Celtes ; et ce terme de Celtique désignait aussi l’ensemble de leur pays. Au-delà, commençaient d’autres territoires, différens de langues, de coutumes et de dieux. Ce sont ces Celtes qui, par leurs migrations, vont, au VIe siècle, conquérir la Gaule, au IVe, envahir l’Italie, au IIIe, la Grèce, l’Asie Mineure, laissant une partie de leur tribus au foyer primitif. Ce sont eux encore, qui, sous le nom d’Helvètes, coloniseront la Suisse et la Bavière, et de Boïes, les hauts plateaux de la Bohême. Voici, au centre de l’Europe, la première grande race dont les navigateurs, les marchands, les géographes de l’antiquité aient gardé le souvenir.

Ainsi, dans cette nuit, un seul fait s’éclaire. Ceux qui seront plus tard « les Germains » ne sont que des Celtes transformés. Comment cette évolution s’est-elle accomplie ? Par quelles étapes ? Par quelles secousses intérieures ? nous