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mais un accident. La voici érigée en règle. C’est Treitschke encore qui déclare : « Les grands progrès de l’humanité ne peuvent se réaliser que par l’épée… Même parmi les peuples civilisés, la guerre en demeure la forme. » A son tour, répondant au pacifisme, Schœffle écrit, en 1900, sa Théorie scientifique de la guerre. « Le monde tel qu’il est n’est pas une harmonie, mais une multitude inordonnée d’êtres, soumis au péril d’une lutte inévitable… » La guerre n’est ni un malheur, ni un châtiment ; elle est un bien ; non un moyen, mais une fin ; non une exception, mais une loi, « le seul procédé pour développer sainement l’état international et national des sociétés… » — Hegel avait réclamé une limitation du droit de guerre, admis les règlemens internationaux qui l’adoucissent, recommandé le respect des vies et des personnes dans les pays occupés. Mais la guerre étant la loi suprême, il n’y a pas de lois contre elle. Elle sera implacable, implacable comme la haine, puisque, prétend Lasson, « des formes de civilisation ne peuvent que se haïr. » Et s’il est vrai encore que les faibles n’aient aucun droit de survivre, que leur survivance même risque d’enrayer le développement de l’espèce, pourquoi les ménager ? Leur suppression entre dans le dessein de l’histoire. Aussi légitimes que la conquête sont les procédés destinés à conquérir. La pitié n’est qu’une duperie. Et le sort de la Belgique montrera de quelle manière l’Allemagne entend appliquer la sélection humaine et servir le progrès des peuples.

Race, développement, lutte pour la vie : nous tenons ici les pièces maîtresses, l’ossature d’acier dont est forgée cette philosophie sociale. Voyons-en maintenant l’ensemble. Une nation à part, « au-dessus de tout, » visiblement élue de Dieu et placée par lui au faîte de l’humanité ; cent millions d’hommes groupés sur leur territoire ou disséminés sur celui des autres ; pour les unir, un empire centralisé, groupant sous la même loi, dans le même idéal, le même effort, tous ses fils, ceux du sol et ceux de la « dispersion ; » pour les défendre, une flotte puissante et une armée « incomparable » ; cet État « tentaculaire » menaçant enfin toutes les patries, les étreignant de ses trafiquans, de ses docteurs, de ses espions, de ses soldats, avec l’espoir de leur imposer sa loi et sa culture, voilà l’Allemagne nouvelle, telle que les faits et la doctrine nous la découvrent. Son triomphe même ne sera pas seulement son œuvre. L’histoire s’est prononcée. En