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lois à l’humanité comme à la nature. — Un germe paraît. C’est la cellule dont l’évolution va créer le monde : l’inorganique d’abord, puis la vie, puis la pensée. Dans ces milliers de siècles que le regard ne peut mesurer, que l’imagination a peine à concevoir, se forme, grandit l’arbre immense des espèces ; arbre aux rameaux innombrables et touffus dont la complexité, la perfection ne cessent de croître. L’homme est le dernier. Mais s’il couronne la végétation superbe, il s’y rattache. « Il n’est pas au-dessus de la nature, il fait partie de la nature. » Et ainsi, tandis que son orgueil l’isole du reste de la création, la science lui remet sous les yeux ses ancêtres : le germe amorphe, la monaire, dont il est sorti. Elle retrouve l’évolution des organes comme celle des formes, l’origine de l’individu comme la genèse de l’espèce, celle des familles, des tribus, des communautés, des Etats. L’histoire n’est qu’un prolongement de la nature. Œuvre d’un même développement, comment ne serait-elle pas soumise à une même loi ?

Les poètes ont pu chanter l’harmonie de l’univers. Une seule chose est certaine : l’univers n’est, au contraire, que l’immense champ clos où se livre une lutte éternelle. Une guerre implacable sévit à tous les degrés, dans tous les ordres de l’être. Et partout elle engendre des effets semblables. — Même différenciation des individus. « Il faut admettre que partout les individus d’une même espèce n’ont pas des chances également favorables. » — Mêmes sélections entre les espèces. « La théorie de la descendance établit que, dans les sociétés humaines comme dans les sociétés animales, ni les droits, ni les devoirs, ni les biens ne peuvent être égaux… » L’inégalité est la loi des peuples. — Même survie des plus forts. Seuls ont droit à l’existence ceux qui sont le mieux adaptés. Les faibles s’éliminent d’eux-mêmes, et il est dans la nature des choses qu’ils disparaissent. Loi « d’airain » que la raison, que la volonté de l’homme ne changeront pas. Cette raison, cette volonté mêmes, que sont-elles, sinon quelque effluve de la matière ? En rentrant en maîtresse dans l’histoire, la nature lui impose sa rigidité et sa nécessité. « Partout nous sommes en mesure de substituer aux causes efficientes, aux causes finales, des causes inconscientes et fatales… » Il n’y a pas plus de dualisme dans l’être que dans la pensée. L’univers n’est qu’un tout, un mécanisme immense dont la fonction