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quelquefois, mais une conscience constamment pure et scrupuleuse : là était la source de son crédit et de son autorité dans les Chambres. »

Je ne sais si quelques-uns des collègues du sénateur mort hier ne retrouveront pas chez lui un ensemble qui rappelle jusque dans les nuances le caractère paternel. « Un peu d’hésitation quelquefois. » On en eût eu à moins ! Passer successivement, — dans les jeunes années tout au moins et dans les premiers souvenirs, — de la Révolution à l’Empire fidèlement servi, accepter la situation nouvelle née du désastre final, et se trouver tout à coup en présence du grand homme de guerre remettant tout en question à son retour de l’ile d’Elbe ; se voir, en qualité d’homme public, obligé de comprendre et de s’expliquer à soi-même tant de péripéties dans les épreuves, d’abdications plus ou moins forcées, de changemens de dynasties, d’insurrections sanglantes, voilà qui ne permettait pas seulement, mais qui, en quelque sorte, exigeait des hésitations. Devant celui qui, à chacun de ces orages, eût pris instantanément une résolution rigide, on eût pu se demander ce que signifiait une telle intrépidité dans le volle-face. S’il est prouvé, — et cela est prouvé, — que Bérenger de la Drôme s’inspirait constamment, en digne et vrai magistrat, des sentimens d’une justice pleine de noblesse et d’humanité, on peut se féliciter sans réserve d’avoir vu le fils imiter les scrupules du père. A Napoléon remontant sur le trône, le père avait recommandé d’avoir plus de souci de la liberté ; mais lors de l’abdication, il avait fortement insisté pour qu’elle fût accompagnée de la reconnaissance de Napoléon II. En juillet 1830, il combattit les tentatives de retour aux institutions de l’Ancien Régime ; mais, chargé de soutenir l’accusation contre les ministres tombés, il le fit avec une modération voulue. Avoir passé sans reproche par de tels événemens, avoir combattu avec énergie, comme il le fit dans le plus célèbre de ses ouvrages, les lois d’exception et les juridictions improvisées, tout cela témoigne, non pas d’un caractère hésitant, mais plutôt d’un esprit persévérant partout dans la défense même des principes. « Il n’y a pas de plus grand travail, dit Malebranche, que de demeurer ferme dans les courans. » Oui, c’est un grand travail, et souvent ingrat ; car on sait assez que l’homme resté fidèle en toutes choses aux principes fondamentaux de sa conduite sera celui qui, dans les illusions de