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manquait-il ? L’unité politique. Il ne lui suffit plus d’être la pensée ou le rêve, la poésie ou la science. Elle aspire à l’organisation. On sait comment, dans la tourmente de la Révolution et des guerres nationales, ces espérances ont grandi, comment aussi le plus germanique des États allemands, la Prusse, les a réalisées. L’Empire, avec son chef, son armée, sa richesse, la complexité même de ses rouages et de ses institutions est l’achèvement nécessaire de la race, comme la fleur de sa vie, l’épanouissement de sa « culture. » Désormais, la race est prête à remplir sa destinée.

L’histoire de l’Allemagne n’est donc que l’épopée de la race. Un autre trait lui est propre. Dans la continuité de sa formation, on peut dire que la race obéit à un double mouvement.

Le premier, au dedans, en profondeur. Tandis que chez tous les peuples, le progrès se fait par l’absorption, la fusion des élémens étrangers qui viennent enrichir leurs institutions comme leur intelligence, tout au rebours, la race germanique a voulu ne rien devoir qu’à elle seule et ne puiser que dans son fond. Droit, gouvernement, philosophie, religion, tout en elle est homogène. Aucun emprunt au dehors ; son histoire même n’est qu’un long effort de refoulement. L’Allemagne n’a rien pris aux Celtes. En contact avec Rome, elle repousse son génie comme ses armées. Au Moyen Age, elle s’affranchit de ces deux universalismes : la conception théocratique de l’Empire, la conception romaine de l’Eglise. Dans les temps modernes, c’est contre la France qu’elle se défend. Notre littérature, notre philosophie, notre révolution peuvent y pénétrer ; elle les reconduira à ses frontières. Cette puissance d’exclusion, voilà le premier mouvement du germanisme : celui qui l’isole. Et voici le second : la puissance d’expansion qui l’entraîne à envahir.

Vers l’Ouest ou vers l’Est, vers le Nord ou vers le Sud, à chaque époque, une oscillation régulière étend ses limites. Avant César, la Germanie déborde sur le Rhin. Après lui, et pendant cinq cents ans, elle jette sur l’Empire le trop-plein de ses peuples. Cimbres, Teutons, Suèves, Alamans, Franks, Burgondes, Wisigoths, Vandales, tel est le flot qui se déverse sur l’Occident et fécondera l’Europe nouvelle. Du IXe au XIIIe siècle, le flot se retourne vers l’Est, il refoule les Slaves, s’avance de l’Elbe à l’Oder, de l’Oder à la Vistule et à l’orée de la plaine