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navire-école le Stein, le jour où celui-ci avait campé une sentinelle prussienne sur le quai de l’Escaut. Avec l’approbation du Conseil communal, une « Société de Vigilance » s’était constituée sous le nom flamand de Waak en Sluit. C’était une sorte de police privée, prétendant aider ou suppléer dans sa tâche l’autorité régulière, et dont les membres avaient droit de porter des armes. Or, l’immense majorité de ces membres était composée d’Allemands, et un « prospectus » reproduit par M. Claes prouve clairement que le Waak en Sluit d’Anvers se rattachait en droite ligne à un groupe de sociétés allemandes analogues ayant leur centre à Cologne !

Une vingtaine d’années avaient suffi pour opérer cette transformation de la vénérable cité flamande en ce que Mme Louise Creed allait définir bientôt : « un véritable nid d’espions allemands. » Transformation que prévoyait et dénonçait déjà, au début de l’année 1897, notre compatriote M. Carteron, consul général de France à Anvers, dans un admirable rapport publié par le Moniteur officiel du Commerce du 27 mars de la même année. « Par degrés, écrivait M. Carteron, l’ancienne physionomie d’Anvers est en train de changer. Bon nombre d’anciennes et solides maisons belges risquent d’avoir à disparaître, faute pour elles d’avoir su se protéger en temps utile contre les menées souterraines de concurrens venus d’Allemagne. Et celles de ces maisons qui ont chance de survivre se trouvent dès maintenant forcées de compter avec ces immigrans allemands, affranchis de tout préjugé tant soit peu gênant, et dont les patiens efforts formeront à coup sûr l’un des chapitres les plus suggestifs de cette curieuse histoire d’une « lutte pour la vie. »


Dans sa clairvoyance prophétique, M. Carteron allait même jusqu’à signaler le rôle capital d’un personnage que M. Claes nous montre aujourd’hui comme ayant été, à beaucoup près, l’agent le plus actif et le plus constant de cette « germanisation » de la ville d’Anvers. J’entends par-là l’humble et modeste « commis » allemand, ce « jeune homme au teint pâle, des lunettes sur le nez, sobre, patient, travaillant volontiers sans aucun salaire, » et qui, toujours suivant le rapport de notre éminent compatriote, « à Anvers de même qu’en beaucoup d’autres villes, a puissamment contribué aux progrès de la suprématie allemande. » C’est lui, ce « jeune homme au teint pâle, » qui sans l’ombre d’un doute, à Anvers comme ailleurs, a commencé le « travail de taupe » éloquemment décrit par M. Claes. Qu’on le voie se présenter d’abord dans les riches bureaux d’un négociant belge !