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cette « pénétration pacifique » dont l’étude forme, proprement, le sujet du livre de M. Claes.


« Certains pays, — nous dit le sagace directeur de la Métropole, — ont eu à subir plus que d’autres ce que l’on peut bien appeler le péril allemand : soit qu’ils parussent moins capables de résister, ou que l’Allemagne trouvât plus d’intérêt à les imprégner de son influence. Parmi ces victimes favorites de l’invasion allemande figurent incontestablement, — pour nous en tenir à la seule Europe, — l’Angle : terre, l’Italie, la Turquie, et la Belgique. L’Angleterre, en raison de ses traditions de libre-échange, comme aussi de sa maîtrise des marchés du monde ; l’Italie, à cause de ses ports sur la Méditerranée ; la Turquie, pour une foule de motifs connus de chacun ; et enfin la Belgique, parce que, suivant l’expression de M. Waxweiler, l’Allemagne l’a toujours regardée comme une nation trop loyale et trop respectueuse de sa neutralité pour être en état de s’opposer efficacement à l’introduction d’élémens étrangers. »

La noble et belle cité maritime d’Anvers, en particulier, présentait dans ces dernières années le spectacle d’une germanisation à peine croyable. Plus de 10 000 Allemands s’y étaient installés, et qui avaient même fini par se substituer presque entièrement aux Belges dans plusieurs des principaux domaines de l’industrie et du commerce locaux. L’exportation, la commission, les douanes, tout cela avait passé entre leurs mains. A la veille de la guerre, dans une adjudication ouverte pour la construction d’un dock, une compagnie belge des plus honorables avait fait des offres si avantageuses pour les intérêts de la ville qu’on avait dû les accepter : mais la colonie allemande, ne pouvant se résigner à perdre l’affaire, avait réussi à faire rompre le traité et à faire ouvrir une adjudication nouvelle, qui avait tourné au profit d’entrepreneurs allemands. Il existait à Anvers une centaine au moins de « Sociétés » allemandes, dont beaucoup ne se cachaient pas de recevoir des subventions, officielles ou privées, d’outre-Rhin. On y voyait deux Sociétés d’anciens officiers ou soldats, six Sociétés chorales, et jusqu’à un Verein expressément destiné à « favoriser le maintien de l’humour germanique ! » Avec cela plusieurs grandes écoles allemandes de garçons et de filles, où l’on chantait, chaque jour, des hymnes en l’honneur du Kaiser, ce qui n’empêchait pas maintes familles belges d’y envoyer aussi leurs enfans. Mieux encore : la colonie allemande d’Anvers avait réussi à réaliser d’une façon durable le rêve patriotique conçu jadis par le commandant du