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l’égoïsme des deux jeunes gens, persuadés que tout leur est dû et bourreaux inconsciens de leurs parens ; elle contraint la malheureuse mère à tous les sacrifices et à la définitive immolation de soi : elle expire, — remarque subtile et étrangement pénétrante, — devant la vieillesse de la grand’mère, parce que celle-ci est en quelque sorte « déshumanisée » et mise par son âge en dehors de la Course. Loi terrible qui fait de cette noble, et bonne et dévouée Sabine Revel, une voleuse, une faussaire, et finalement un assassin ! Je ne sais rien qui dépasse, pour l’invention dans l’horrible, la confession de cette honnête femme surprise par l’agent de change en un flagrant délit d’un autre genre. C’est l’horreur shakspearienne transportée dans la prose du drame bourgeois. Ni déclamation, ni sensiblerie, ni coups de théâtre, rien pour l’effet, rien que la vie, morne et indifférente, pleine de sanglots étouffés, grosse de drames ignorés, semblable à un grand fleuve dont les flots sauraient tant de sombres histoires ! Cette fois, Paul Hervieu ne procède de personne, il ne relève que de lui seul. Toutes les ressources élargies, toutes les forces épurées de son talent se sont rassemblées pour produire le chef-d’œuvre. Ne craignons pas de dire qu’il y est l’égal des plus grands.

Les dernières pièces de Paul Hervieu indiquaient un adoucissement de sa manière, un effort pour se rapprocher de la morale traditionnelle. Dans le Dédale, les époux divorcés se réconcilient au chevet de l’enfant. Ils se réconcilient trop tard, et il est fâcheux qu’avant de retomber dans les bras de son mari, la femme ait eu le temps et l’imprudence de se remarier : cela crée une situation inextricable, un « dédale » d’où l’auteur n’a pu sortir qu’en précipitant les deux maris au fond d’un gouffre qui ne rend pas ses victimes. Mais, la remarque subsiste, à l’adresse des ménages trop pressés de se désunir. Dans le Réveil, un concours de circonstances, d’ailleurs assez extraordinaires, permet au prince Jean de constater que celle qu’il poursuivait d’un si ardent amour porte son deuil fort décolleté. Tels sont les lendemains de ces folles ivresses. Le prince retournera à ses sujets, la femme mariée retournera à son intérieur : cela vaudra mieux pour tout le monde. Dans Connais-toi, la femme adultère suggère à son complice ce dénouement : la réconciliation avec son mari. Le complice accepte d’enthousiasme. C’est au moins la preuve qu’il faut