Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réalité. Si souple ou si lâche que devienne le lien conjugal, il ne pourra jamais se prêter à tous les caprices et à tout l’imprévu du cœur. On peut bouleverser nos lois, il y aura encore de beaux jours pour le drame conjugal et de beaux sujets pour les dramaturges.

Notons enfin combien ce théâtre, au meilleur sens du mot, est « du théâtre. » Dès les premières répliques, on respire une atmosphère de lutte. Entre le mari autoritaire, positif, sûr de lui, en possession de l’horrible certitude, — un caractère que Paul Hervieu abomine et qu’il ne manquera pas une occasion de châtier ou d’humilier, — et une femme qui a besoin de tendresse, une terrible partie est engagée. Puisque ce mari tyrannique lui refuse le divorce dont elle a sollicité la grâce, Irène feint de se soumettre. Un enfant naît, grandit : les discussions recommencent à propos de son éducation. Fergan, toujours à cheval sur ses droits, se réclame de son autorité paternelle, comme autrefois il s’était réclamé de son autorité maritale. Il provoque ainsi la foudroyante révélation : « Vous n’êtes pas son père ! » Désormais, la situation est retournée. A la femme maintenant de refuser le divorce, qui nuirait aux intérêts de son fils ; au mari de souffrir. Le parallélisme est ménagé avec une exactitude minutieuse et une cruauté savante. Le supplice d’un homme fait pendant au supplice d’une femme. Les tenailles du mariage se referment sur les deux conjoints.

Il en est de même au dénouement de la Loi de l’homme. Dans le théâtre de Dumas, où traînaient des vestiges de romanesque, le dénouement dénouait la situation, fût-ce par la violence. Paul Hervieu laisse les coupables ou les malheureux plus étroitement rivés à leur chaîne. Il compte sur le temps pour exécuter les vengeances les meilleures parce qu’elles sont les plus lentes. Au surplus, il n’admet pas ces dénouemens par le fer et par le feu, duels ou assassinats, qui jadis ensanglantaient la scène pour le plus grand contentement du spectateur paisible. C’est contre eux qu’est nettement dirigée l’Énigme. Tandis que les terribles messieurs de Gourgiran professent la doctrine homicide, le « Tue-la ! » de l’Homme-femme, Je marquis de Neste leur oppose sa morale indulgente de vieil épicurien humanitaire : « Eh bien, non, non ! ce n’est pas la morale meurtrière de ces sauvages qui doit triompher. Il faut une justice ici-bas et que nul n’y paie plus cher