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jaillir des faits tels qu’ils sont présentés. Une pièce de Dumas offre un grouillement de personnages et d’intrigues qui divertit, mais en dispersant l’attention : Paul Hervieu n’admet qu’une seule action, à laquelle prennent part uniquement ceux qui y sont engagés à fond. Et, tandis que sur la trame des événemens Dumas jette l’étincelante broderie de son esprit et le fourmillement de ses mots d’auteur, souvent aussi inutiles qu’ils sont brillans et gais, le dialogue de Paul Hervieu, serré et pressant, n’admet pas un mot qui ne serve, pas un trait qui ne soit un argument. De là une impression particulièrement intense, une sorte de tristesse janséniste, une nudité austère.

Allons plus loin. Ce n’est pas seulement la facture de ces pièces qui est originale, c’en est aussi bien la conception première et l’idée maîtresse. Dumas fils croyait ou feignait de croire à la réforme de la société par celle de la législation, l’une et l’autre obtenues par l’influence d’un théâtre utile. Qu’on rétablit le divorce, on supprimait du même coup les fautes et les crimes. Ce qui, à ses yeux, justifiait le divorce, c’était l’indignité de la femme ou du mari. De l’adultère la femme de Claude est tombée à l’infanticide ; le duc de Septmonts, comme le prince de Birac, trompe sa femme et dilapide sa fortune. Dans les Tenailles, au contraire, le mari d’Irène Fergan est parfaitement irréprochable. Le seul reproche que lui adresse sa femme, c’est qu’elle ne l’aime pas ; mais elle tient, et l’auteur avec elle, que ce reproche-là prime tous les autres et même est le seul qui compte. « On n’est ici-bas que pour aimer et faire son bonheur du bonheur que l’on fait… Je n’admets pas que la loi fasse d’un être la propriété à tout jamais d’un autre être… Oh ! que chacun ne soit pas le premier à posséder la disposition de son âme et de son corps ! » Aux engagemens que contractent les époux et que mentionne la loi, — aide et protection, fidélité et obéissance, — Paul Hervieu proposait d’ajouter : et amour. Après cela, il savait bien que l’amour ne se garantit pas par contrat ; il ne comptait sur aucune disposition législative pour assurer le bonheur des unions ou des désunions futures. C’est par-là surtout que les Tenailles se distinguent des pièces qui ont pour objet la réfection du Code. Les réformateurs sont des optimistes qui attendent pour demain le bien de l’humanité ; Paul Hervieu ne partage pas leurs illusions : il prévoit trop quels démentis leur infligera toujours la