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pourtant on s’est demandé pourquoi cet abandon du roman sans esprit de retour et pourquoi cette coupure si nette. La raison en est toute simple et tient tout entière dans un scrupule d’artiste. L’esthétique du théâtre et celle du roman ne sont pas seulement différentes, elles sont opposées ; il faut voir les choses sous un certain angle ; c’est un pli à prendre, une habitude de l’esprit qui doit devenir une seconde nature. Précisément parce que les deux genres sont voisins, il faut éviter de mêler les procédés de l’un et de l’autre. Paul Hervieu a pensé qu’on n’appartient pas à moitié au théâtre et que, pour y faire œuvre qui vaille et qui dure, ce n’est pas trop de lui consacrer toutes ses forces.

Point de lendemain, adapté d’un conte de Vivant Denon, et même les Paroles restent, n’avaient été que des essais. Les Tenailles sont le véritable début de Paul Hervieu au théâtre : elles sont restées une de ses meilleures comédies. J’ai analysé presque toutes ces pièces, à mesure qu’elles étaient représentées ; j’ai indiqué ce qui me paraissait en être le fort et le faible ; j’en ai souvent discuté les théories, j’en ai toujours admiré la belle tenue littéraire et la vis tragica. Je me bornerai donc à rappeler ici les caractères essentiels de ce théâtre, ceux qui en marquent l’évolution et la place dans l’ensemble de la production moderne. Comme beaucoup d’autres à la même époque, plus que d’autres, c’est de Dumas fils que procède Paul Hervieu. Plus nous allons et plus il apparaît que Dumas fils a été la grande force du théâtre, dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’initiateur de qui relèvent ceux mêmes qui devaient se séparer de lui ou prendre nettement le contre-pied de sa manière. Il avait donné de la pièce à thèse une formule qui avait vivement impressionné public et auteurs, et qui devait rester longtemps viable. Les Tenailles et la Loi de l’homme sont directement issues de ses pièces sur le divorce et en semblent le prolongement. Je me hâte de dire qu’elles s’en écartent par des différences assez marquées pour constituer un art nouveau et très personnel. Tandis que Dumas se mettait lui-même en scène, et que, tour à tour Jalin, De Ryons, Thouvenin ou Rémonin, il était souvent de toute la pièce le personnage le plus vivant et qui tirait à lui tous les regards, Paul Hervieu, fidèle à sa règle de haute discrétion, n’intervient pas dans ses pièces ; pas de raisonneur, porte-parole de l’auteur : la conclusion doit