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l’écarte sans cesse de ses origines. Elle est un produit de l’art et par-là elle intéresse un artiste. Et tout son art et tous ses artifices profitent à qui ? à la femme, dont elle crée un type de plus en plus compliqué, plus séduisant, plus capiteux, parlant plus féminin. Quant à ceux qui pensent que la littérature mondaine doit être nécessairement fade, convenue et dénuée de vérité, ils ignorent ce qui en fait l’objet même. Dans un salon, tout le monde est en représentation ; chacun joue un rôle : c’est pour cela même que la comédie y fleurit comme sur une terre d’élection et constitue le principal divertissement pour soirées d’hiver ou journées d’été. Il y a dans Flirt des tableaux vivans ; dans Peints par eux-mêmes un drame historique, auquel l’historique demeure de Pontarmé sert de cadre à souhait ; dans l’Armature une pastorale est tout à fait à sa place au raout d’un financier. Mais que valent ces médiocres comédies auprès de celle qui, dans ces mêmes salons, se joue au vrai et avec un art supérieur, et qui est par excellence la comédie mondaine ? Comédie parfois simplement comique, mais qui si souvent tourne au drame ! « Les deux actrices, fidèles à leur rôle de bonne compagnie, devaient conserver la voix douce, ne rien dire de ce qu’elles auraient eu à se dire et ravaler avec un sourire toutes les baves dont leur langue se chargeait pour être naturellement crachées à la face adverse. » Or, ce que le romancier a pour tâche de nous faire apercevoir, c’est ce qui se cache sous ce vernis, sous ces mines étudiées et CAS mots apprêtés. Il dévoile, sous la vie qui apparaît, celle qui se dissimule, — amours défendues, haines inavouables, regards dérobés, furtifs serremens de mains, lettres compromettantes, rencontres, rendez-vous, liaisons, trahisons et vengeances, — « l’autre vie, celle qui est invisible comme la pensée et qui est quelque chose de plus que d’être simplement vraie, puisqu’elle est en cette quintessence de vérité : le secret. » Quelle recherche plus irritante ? Quelle chasse plus passionnante ? Et c’est celle pour laquelle part chaque matin le romancier mondain.

Ici, pour qui veut réussir, il ne suffit ni d’être un annaliste fidèle, ni même un moraliste pénétrant et un psychologue délié. Une autre condition est essentielle. Le tort de beaucoup de gens qui parlent du monde, c’est de n’en parler que par ouï-dire. Le rapport qu’ils en font n’est ni flatté, ni enlaidi, ni même mensonger : il est à côté, il ne s’applique pas.