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avait fait bien du chagrin ; elle en a pleuré. C’était une lettre de son père, refusant le consentement à son mariage et lui défendant d’aller à Florence avec eux, ce dont il pouvait avoir eu la pensée… À l’heure du dîner, j’ai trouvé le Prince et la Princesse, que j’avais vus différentes fois se promener, en se tenant par la main. Ils avaient les yeux rouges comme des gens qui ont pleuré. La Princesse a mis de l’affectation à ne pas manger du tout, et, toute la soirée, ils ont roucoulé. Je m’arrangeais pour ne jamais être où ils sont, mais pour être gracieuse avec tous les deux quand je m’en trouve rapprochée. Le père et le frère sont allés se coucher, elle est restée toujours en aparté avec le Prince, jusqu’au moment où tout le monde est allé se coucher.

Samedi 7 mai.

Hier matin, le Prince m’a dit un gracieux bonjour par la fenêtre. Il est arrivé pour déjeuner, lorsque nous étions à la moitié du repas, ce qui agitait beaucoup son oncle. à avait été retenu par un bon paysan venant lui dire l’intention du canton de le faire nommer du Grand Conseil, mais qu’on désirait savoir s’il accepterait avant de faire une chose qui est tout à fait contre la loi, puisqu’il n’y a que deux ans qu’il est citoyen et qu’il faut qu’il y en ait cinq pour qu’on puisse remplir des fonctions publiques. Le Prince a refusé que l’on fît quelque chose que la loi défendait, en disant qu’il accepterait lorsque les cinq ans écoulés lui en donneraient le droit. Mais la seule proposition m’a fait un plaisir extrême, parce qu’elle prouve combien il est aimé, et, en pareil cas, je le témoigne avec toute ma vivacité…

En sortant de table, on est allé à Maunbach. J’ai suivi, mais de loin, en causant avec M. Conneau. Il veut décidément retourner à Florence, ce qui me fait un vrai chagrin. C’est le seul ami que j’aie ici, la seule personne qui me porte intérêt, à qui je puisse parler de mes peines, surtout à présent que la présence de Mme  Salvage a tant changé mes relations avec la Heine et que le mariage de son fils va aussi le changer pour moi. En arrivant à Maunbach, tout le monde l’a amèrement critiqué, même le Prince, pour qui cette maison avait tant d’intérêt autrefois ; mais il tenait toujours le bras ou la main de sa cousine et ne pensait plus a autre chose. Je suis rentrée seule chez moi. Plus