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En rentrant, j’ai pris un autre chemin pour ne pas rencontrer le prince Louis et le prince Jérôme partant pour le bal de Constance, et, quelques pas plus loin, le Roi, sa fille et Mme  de Reding se promenant à pied. La sensibilité n’est pas le côté fort de la famille Montfort. Le prince Napoléon examinait ma figure altérée et bouleversée avec une curiosité qui n’était pas de l’intérêt. M. de Wessenberg dînait avec nous. La Princesse a fait une partie de billard avec lui et s’est couchée de bonne heure. Elle est moins jolie quand la coquetterie ne l’anime pas.

Hier, jeudi matin, j’avais à peine paru qu’on m’a apporté mes lettres. Je n’osais ouvrir, je me sauvais chez moi pour lire. J’ai trouvé la Reine sur l’escalier. « Avez-vous des nouvelles ? — « Oui, madame. — Eh bien ! lisez donc. » J’ouvris en tremblant et, comme les premiers mots étaient rassurans, je le lui ai dit. Alors, elle m’a embrassée en me témoignant tout le plaisir qu’elle en éprouvait. M. Conneau recevait de Fanny une lettre plus triste, elle lui envoyait la lettre d’Aimé pour me la communiquer avec ménagement en priant qu’on me fit partir à l’instant pour aller la rejoindre… La Reine a dit oui tout de suite, et le prince Jérôme, qui devait aujourd’hui retourner à Stuttgard en passant par Sigmaringen, m’a offert une place. Je suis descendue dire à la Reine ma résolution d’accepter l’offre du prince Jérôme. Mais la Reine m’a dit que son père ne se souciait pas qu’il passât à Sigmaringen, parce qu’il n’avait pas un officier avec lui : ce n’est pas assez digne d’aller seul. J’ai assisté à l’embarquement de la société se rendant à Lorette, excepté Mlle  de Perrigny. Avec raison, elle n’a pas voulu en être, et la Reine, avec laquelle je me suis promenée longtemps, me paraît craindre que le choléra, qui se déclare en Italie, ne lui laisse tout ce monde sur les bras. Ce qui la choque le plus, c’est que le Roi fait arriver Mme  de Holtzing et Cavel. Plus tard, j’ai rejoint la Reine. J’ai été bien étonnée de voir la Princesse en grand négligé enveloppée d’un châle, elle qui se met à moitié nue. J’allais lui demander si elle était malade ; mais cela m’a été expliqué quand j’ai su que le prince Louis et son cousin étaient restés à Constance pour le spectacle. Elle n’aime pas beaucoup entendre vanter la beauté des autres femmes ; elle a fait la moue quand j’ai dit que la princesse Eugénie était la