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à Elisa toutes les impertinences que j’avais dites à droite et à gauche. Elle les a tous mal arrangés, même la jeune princesse. Elle la trouve sans esprit, pas bonne, et surtout pas franche du tout. Elle dit qu’elle lui faisait toute la soirée des tendresses et des mamours sans fin pour aller ensuite en ricaner par derrière…

Hier, mercredi 20, Mme  de Reding est venue me trouver pour me montrer la bourse que la Princesse avait achevée pour son cousin. Elle ne la trouvait pas assez jolie pour la lui donner, et une autre qu’elle avait faite à son frère, elle voulait la donner à sa place. Mme  de Reding est restée longtemps à causer avec moi de l’affaire de la veille. Je lui ai dit crûment tout ce que j’en pensais. « Si les princes veulent avoir des gens pour les bafouer, ils doivent tout bonnement prendre de plats valets dans la rue, mais que, s’ils veulent avoir autour d’eux des gens distingués, ils doivent les traiter avec considération. » J’allais descendre pour le déjeuner lorsqu’on m’a apporté une lettre de Laure… Quelle n’a pas été ma douleur d’y voir le long détail des souffrances de ma pauvre mère, qui se meurt !…

Sitôt que la Reine a vu mon chagrin, elle est montée chez moi tout émue, m’a embrassée avec affection en me disant tout ce qui pouvait me rendre de l’espoir, et m’engageant à ne pas me laisser abattre. M. Conneau est arrivé aussi, et, la lettre lue, n’a pas su me rendre grand courage. J’étais dans un état digne de pitié. J’étais passée dans la chambre de Mlle  de Perrigny pendant qu’on faisait la mienne. Le Prince est venu m’y trouver pour me dire la part qu’il prenait à mon chagrin. Il venait me consoler, disait-il, et me répétait qu’il m’aimait depuis si longtemps que je devais en être bien sûre. Mlle  de Perrigny est venue travailler près de moi. Elle me contait que le Prince était des plus gais. Sa cousine lui avait envoyé sa bourse. En la remerciant, il lui avait dit : « qu’elle avait craint de le rendre trop heureux en la lui donnant elle-même. » Il avait voulu lui baiser la main, mais elle l’avait retirée en rougissant excessivement. Il l’avait menée promener dans sa petite voiture et avait passé son après-midi avec elle au salon.

Je suis sortie. La Reine, en m’apercevant, est venue au-devant de moi en me tendant la main et en me disant qu’elle allait m’appeler, que je ne devais pas rester ainsi renfermée.