Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/35

Cette page n’a pas encore été corrigée

JEUNE FILLE. 31

J’ouvre la porte ; ce n’est pas celle du vestibule par laquelle j’entre habituellement lorsque je reviens de promenade. J’ouvre le vantail sur la douceur de la pénombre rose que font le feu qui meurt et les lampes voilées. Ni maman, ni Robert ne m’ont entendue, ne m’ont vue.

Je respire la tiédeur parfumée de la pièce heureuse, close et familière, où plane je ne sais pas quoi de secret et de charmant. Dans les coins laissés tout obscurs, des bouquets semblent jaillir de l’ombre aussi naturellement que si leurs fleurs naissaient d’un printemps noir.

Je vois tout cela...

Maman et Robert sont assis de chaque côté du foyer ; elle, renversée à demi dans la bergère profonde; lui, les jambes croisées à terre, sur le grand coussin ramage dont les glands d’or luisent longuement aux derniers sursauts des braises. Je n’entends pas ce qu’ils se disent et je ne vois pas leurs visages; pourquoi est-ce que je n’ose pas leur parler ni venir simplement m’asseoir entre eux comme autrefois? C’est qu’il y a déjà entre maman et lui une présence invi" sible et pourtant si réelle pour mon cœur qui bat trop vite, que je la sens plus que je ne la pressens..., que je la sais... Amour I Désir! Tendresse! Quel que soit le nom dont on vous désigne, c’est bien vous entre eux, n’est-ce pas? Et, sur la pointe des pieds, tout doucement, — ah! si doucement, — je me détourne, je referme la porte... et je m’en vais. XXXVI

J’ai dîné pourtant, à cette table qui ne me semble plus la mienne, près de maman qui ne me regarde plus avec les mêmes yeux si doux; près de lui ; je ne souffrais que de maman; lui, je ne le sentais presque plus là.

Jamine, ma chérie, qui est morte, est toujours, sera toujours dans mon cœur et dans ma pensée; mais lui, vivant, qui dîne, et parle, assis près de moi, me semble parti très loin de moi; j’ai besoin, pour savoir que c’est vraiment lui, encore lui, et qu’il est le même, de m’iraaginer à côté de lui, qu’il est là 1 Tout de suite, prétextant une grande fatigue, après diner je les ai quittés, je me suis couchée. Une fois seule, Robert a recommencé à être plus présent à mes pensées ; mais je ne