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donc de vous y rendre. Elle-même prouvera son inutilité ; l’Empereur changera de marotte et passera à d’autres occupations. Rappelez-vous que, pour une fenêtre, Louvois a été cause de la guerre du Palatinat. C’est au nom de la paix de l’Europe que je vous demande de ne pas jeter l’Empereur dans le désœuvrement, en empêchant par votre abstention la réunion de la conférence de Berlin.

Il osait prier au nom de la paix, lui qui tant de fois, pour les nécessités de sa politique, avait recouru aux menaces de guerre ! On ne pourrait que s’en indigner si, dans l’adjuration qu’il adressait au représentant de la France, n’apparaissait le mensonge. Ce n’est pas dans l’intérêt de la paix qu’il faisait volte-face, mais parce qu’il s’était convaincu que sa résistance se briserait contre la volonté de l’Empereur. Cette volonté, à quelque temps de là, allait s’exprimer à la Diète de Brandebourg, sous une forme impétueuse. Le 5 mars, au banquet de la session, Guillaume II, en terminant un discours en lequel il s’engage à « gouverner miséricordieusement et avec justice pour le bien de son peuple, » s’écriera : « Tous ceux qui voudront m’aider dans ce grand devoir, ceux-là seront les bienvenus ; mais ceux qui feront obstacle à mes désirs, je les mettrai en pièces. » En présence des dispositions que trahit ce langage véhément, Bismarck, qui les connaissait, s’était dit qu’à prolonger sa résistance, il jouerait trop gros jeu et, après réflexion, il se soumettait. En cette circonstance comme en tant d’autres, il s’inspirait de son intérêt personnel ou, pour mieux dire, de son fougueux désir de conserver le pouvoir. Durant les dernières années de sa dictature, ce désir a été le mobile de toutes ses actions.


III

Au commencement du mois de mars, les délégués des Puissances qui avaient accepté de prendre part à la conférence ouvrière étaient salués, en arrivant à Berlin, par les rumeurs auxquelles donnaient lieu la probabilité et l’imminence de la retraite du chancelier. On en parlait publiquement, sans que l’opinion eût l’air de s’émouvoir d’un événement qui, l’année précédente, à la même époque, eût provoqué dans toute l’étendue de l’Empire des protestations et des regrets. On ne s’était