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à Berlin. Or, jusqu’à ce jour, votre pays a eu le privilège d’être choisi comme lieu de réunion pour les conférences internationales non politiques. Ce privilège, le gouvernement fédéral ne peut s’en laisser dépouiller. Il se priverait d’une de ses plus flatteuses prérogatives s’il admettait qu’une réunion de l’importance de celle dont il est question puisse siéger ailleurs qu’à Berne. Je vous engage donc à réclamer pour votre pays l’honneur d’offrir l’hospitalité aux délégations que l’Empereur a le tort de vouloir réunir à Berlin.

Effaré d’une telle suggestion, le diplomate suisse ne peut que balbutier quelques mots. Il en référera à son gouvernement et communiquera au chancelier la réponse qu’il en aura reçue. Mais, rendu à lui-même et après réflexion, il décide qu’il n’en fera rien. Jusqu’à nouvel ordre, il gardera la proposition pour lui. Il n’ignore pas que le chancelier est opposé à ce projet de conférence, et il juge imprudent de se faire son complice dans des efforts qui ont pour but de battre en brèche la volonté de l’Empereur.

Quant à Bismarck, il poussera plus loin ses intrigues.

Le 10 février dans la matinée, l’ambassadeur de France, M. Jules Herbette, enfermé dans son cabinet avec M. Alfred Dumaine, premier secrétaire de l’ambassade, était en train de dépouiller le courrier du jour, lorsqu’un domestique vint annoncer un visiteur. Il s’était exprimé en langue allemande, et l’ambassadeur ne la comprenait pas.

— Qui annonce-t-on ? demanda-t-il à M. Dumaine.

— J’ai cru comprendre que c’est le chancelier.

Le chancelier ! Que venait-il faire à cette heure matinale, lui dont les visites aux ambassadeurs étaient si rares ! Mais, au même instant, sa haute et large silhouette se dressait dans l’encadrement de la porte. Il avait suivi le domestique et se présentait derrière lui comme un familier de la maison. Resté seul avec l’ambassadeur, il exposa l’objet de sa visite.

— Je viens m’excuser auprès de vous des embarras que la proposition de l’Empereur doit vous causer. La conférence projetée ne peut avoir aucun résultat pratique. Mais son échec pourra laisser des nuages dans les relations de l’Allemagne avec les gouvernemens à qui l’on reprocherait de l’avoir provoqué. Mieux vaudrait que ceux qui ne veulent pas de l’article premier du programme touchant la journée de huit