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avait cru qu’en le faisant répandre, il provoquerait une manifestation en sa faveur, il devait reconnaître qu’il s’était trompé. Les journaux envisageaient et discutaient l’éventualité de sa démission comme une chose prévue, et le public y semblait tout à fait résigné. Les élections avaient eu lieu et elles augmentaient considérablement le parti socialiste dans le Reichstag ; l’effroi se répandait à travers l’Empire ; à la Cour, les gens redoutaient « d’être mis à la lanterne. » On approuvait donc l’Empereur de chercher à résoudre pacifiquement la question sociale et d’essayer de créer un terrain d’entente avec la nouvelle majorité. On blâmait la résistance du chancelier et nulle part, bien que les journaux à ses gages eussent pris sa défense, on ne se contraignait plus pour blâmer son attitude et même pour le railler en présence de l’Empereur devant qui, quelques semaines plus tôt, les plus hardis n’auraient osé le faire.

Un soir qu’il y avait au ministère de la Guerre un dîner officiel auquel assistait le souverain, Mn, e de Verdy du Vernois, placée entre lui et le comte de Waldersee, causait librement du prince de Bismarck. Son mari, ayant surpris ses paroles, lui cria à travers la table d’un accent de gaieté :

— Prenez garde, ma chère, de ne pas vous compromettre ; les journaux vont vous attaquer.

L’Empereur, loin de trouver mauvaise la plaisanterie, l’approuva en éclatant de rire. Il n’ignorait pas que le ministre de la Guerre était en communauté de vues avec les adversaires de Bismarck.

Tout conspirait maintenant contre le chancelier. Ses rapports avec l’Empereur devenaient de plus en plus difficiles et pénibles.

— Nous sommes dans une mauvaise passe, le chancelier et moi, disait Guillaume II.

Mais Bismarck ne se tenait pas pour battu ; il redoublait d’activité et d’audace et se flattait de faire avorter la conférence en provoquant le refus des gouvernemens qui étaient invités à y prendre part. C’est dans ce dessein qu’au lendemain de la publication des décrets impériaux, il mande d’urgence à la chancellerie le ministre de Suisse, M. Arnold Roth.

— Voici pourquoi je vous ai fait appeler, lui dit-il. Vous savez que l’Empereur tient à ce que la conférence ouvrière se réunisse