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chancelier n’en fut averti que lorsque la décision ne pouvait plus être cachée. Mais il ne laissa rien paraître de son mécontentement. Son attitude fut la même en deux ou trois circonstances où il ne put obtenir des nominations ou des révocations qu’il avait demandées comme nécessaires au bien de l’Etat. On eût dit qu’il redoutait de provoquer un conflit, ne pouvant plus se dissimuler que l’Empereur subissait maintenant des influences contraires à la sienne.

Il serait téméraire de prétendre dévoiler le secret des intrigues qui s’étaient nouées contre lui à la Cour de Berlin et qui devenaient de plus en plus actives. Mais toutes les informations s’accordent pour nous faire croire que le général comte de Waldersee en était l’âme. Celui-ci est encore un personnage à double face. On l’a vu tour à tour courtisan de Bismarck, en lutte avec lui, s’en rapprochant quand il croit à la durée de sa puissance et se rangeant de nouveau parmi ses adversaires quand il la sent ébranlée. Son mariage avec la veuve d’un prince de Schleswig-Holstein, grand’tante de l’impératrice Guillaume, lui a créé à la Cour une situation privilégiée. De la place qu’il occupe, il assiste aux conciliabules où sont forgées les armes qu’on utilisera contre Bismarck. Il participe aux démarches qui sont faites auprès de l’Empereur, et qui se résument dans cette question que lui posent sa mère, sa femme, et d’autres personnes de son intimité :

— Pourquoi ne régnez-vous pas effectivement et laissez-vous votre premier ministre régner à votre place ? Est-il de votre intérêt de laisser derrière le trône quelque chose de plus grand que le trône ?

Ces questions sont pour Guillaume un avertissement ; elles inspireront désormais sa conduite ; son effort tendra à se saisir absolument et complètement des rênes de l’Etat. A l’automne de 1889, sa résolution est devenue inébranlable. Mais il la dissimule encore, non pas seulement, comme nous l’avons dit, parce que la présence de Bismarck au Reichstag lui est nécessaire, mais aussi parce que les élections pour le renouvellement de cette assemblée doivent avoir lieu au commencement de l’année suivante et que la démission anticipée du chancelier pourrait influer sur leur résultat. Il pousse même si loin la dissimulation que, le 31 décembre, en envoyant au chancelier sas souhaits de nouvel an, il termine sa lettre par la phrase