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invitait le chancelier à lui proposer une combinaison qui atténuait les malheureux effets de ce régime arbitraire.

L’apaisement qui régnait au dehors avait sa répercussion à l’intérieur de l’empire. Dans les Chambres comme dans la presse, la politique coloniale tenait la plus grande place ; on commençait à parler de la création d’une flotte de guerre, mais ces questions ne passionnaient pas encore l’opinion. Le chancelier, on le sait, avait été toujours hostile au développement de la puissance allemande au-delà des mers. Dans ses conversations avec les personnages politiques, il ne dissimulait pas son opinion. On l’avait entendu et on l’entendait encore déclarer « qu’il en avait assez des affaires coloniales. »

— Je n’en ai jamais été fanatique, disait-il, je le suis moins encore, depuis que je me vois débordé par des gens qui ont cru trouver en Afrique des trésors, des emplois, des sinécures et qui, désabusés, voudraient obliger l’État à les leur procurer. Ils auront beau faire, je ne me laisserai pas entraîner. Seulement, tout cela me fatigue et je voudrais bien me débarrasser de ce fardeau. Peut-être le pourrais-je en créant un ministère des Colonies. Mais cette création n’est pas sans danger ; elle exciterait les ambitions des marins, et nous les verrions, pour cueillir des lauriers, jeter l’Allemagne dans des aventures inextricables. Je ne comprends rien à l’engouement de l’Allemagne pour un domaine colonial.

Ces raisonnemens ne pouvaient plaire au souverain qui pensait déjà « que l’avenir de l’Allemagne était sur l’eau. » Il ne semble pas cependant que cette divergence de vues eût encore pesé sur ses rapports avec le chancelier. Il est vrai que celui-ci ne devait pas tarder à se laisser entraîner par le courant de l’opinion publique, d’où l’on peut conclure que s’il eût conservé le pouvoir, il se fût fait le défenseur des ambitions coloniales allemandes.

Entre temps, il lui arrivait encore de parler dédaigneusement de l’empereur Frédéric, comme s’il n’eût pas voulu désarmer même devant la mort. Parmi les propos qui lui ont été attribués à ce sujet, nous citons ceux qui suivent parce qu’ils résument tous les autres.

— Frédéric III se laissait guider par de médiocres conseillers et je ne parle pas des obsessions dont l’accablait sa femme. J’ai souvent remarqué qu’il était soulagé et comme réconforté