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parts comme la condamnation de ses accusateurs. Cette affaire avait mis en lumière l’impuissance du chancelier à se dominer en face des atteintes portées à son autorité, et son attitude était universellement blâmée. Il eût été juste que l’Empereur, coupable d’avoir laissé accuser publiquement son père, encourût de la part de l’opinion les mêmes blâmes que son ministre. Mais, en fait, il n’eut pas à les subir autant qu’il eût pu le craindre. On l’excusait dans une certaine mesure, en raison de l’influence que Bismarck exerçait sur lui. C’est à Bismarck qu’allèrent surtout les critiques.

Cet épisode est important, parce qu’on y voit, pour la première fois, le chancelier fournir à son maître un argument susceptible de se retourner contre lui. Au moment où l’Empereur se séparera du dictateur qu’il a toléré jusque-là, il se rappellera qu’un an avant, celui-ci l’a compromis dans cette affaire des papiers Geffeken, en provoquant maladroitement une décision judiciaire qui constituait un désaveu de la conduite du chef de l’Etat, constitutionnellement responsable de celle de son chancelier.

En dépit des incidens qui se déroulaient en Allemagne depuis le début du règne, l’année 1888 s’achevait sans avoir ébranlé l’ascendant du prince de Bismarck sur le souverain. Plusieurs mois devaient s’écouler avant que Guillaume II, commençant enfin à ouvrir les yeux sur les périls que faisait courir à la dynastie le despotisme du chancelier, comprit la nécessité de s’en affranchir, et entrevit la possibilité de le faire.

La question qui se pose alors est celle de savoir non pas seulement si le chancelier conservera assez d’influence pour remplir auprès du souverain, en cas de nécessité, le rôle de modérateur, mais encore s’il saura le remplir. Les courtisans, qui conservent des doutes à cet égard, rappellent à qui veut les entendre qu’au temps de Guillaume Ier, c’est l’Empereur qui modérait Bismarck, et que celui-ci, par conséquent, n’est pas préparé à la tâche que les circonstances peuvent exiger de lui. Dès lors, n’est-il pas à craindre que, s’il s’aperçoit de l’inefficacité de ses conseils de modération, au cas où il jugerait utile d’en faire entendre, il n’insiste pas et cède à toutes les volontés du maître, afin de n’être pas condamné à quitter le pouvoir, qu’il entend conserver à tout prix.

Mais ces commentaires et ces hypothèses qui, dans les