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deux côtés sans un effort considérable, on multipliait les mesures de défense sans leur donner d’éclat.

Nous passerons rapidement sur les voyages qui, pendant les six derniers mois de l’année 1888, remplirent l’existence de l’Empereur. Les incidens auxquels ils donnèrent lieu ont eu dans toute l’Europe un si grand retentissement qu’il serait superflu de les reconstituer dans leurs détails. Il suffira de faire remarquer que, pourvu d’un peu plus de perspicacité, Guillaume II eût compris qu’à l’exception du roi d’Italie, les souverains auxquels il s’était annoncé sans être invité, auraient autant aimé ne pas le voir. A la Cour de Russie, le souvenir de ce qu’on appelait le double jeu du prince de Bismarck n’était pas éteint ; on se défiait toujours de l’Allemagne. A Vienne, il en était de même, avec cette aggravation que la défiance de la chancellerie autrichienne s’envenimait de la brouille dont nous avons parlé plus haut, survenue entre Guillaume et le prince héritier. A Copenhague et à Stockholm, on se plaignait d’être contraint par la visite impériale, aussi coûteuse qu’inattendue, à des dépenses qui creusaient un trou dans le trésor royal.

L’Empereur ne fut dédommagé de ces dispositions que par l’accueil qui lui fut fait à Rome. Mais, là encore, son défaut de tact allait se manifester, dans sa visite au Vatican, par le langage presque impertinent qu’il osa tenir à Léon XIII, et qui faisait dire au vénérable pontife, à l’issue de la visite, que « ce jeune homme était opiniâtre et vain et qu’on pouvait craindre que son règne ne se terminât par des désastres. » On n’a pas oublié qu’au cours de cette visite, Herbert de Bismarck aggrava la conduite de son maître par la sienne. On sait avec quelle brusquerie il força la porte du cabinet pontifical et y entra en poussant devant lui le prince Henri de Prusse, frère de Guillaume, interrompant ainsi l’entretien commencé entre le Pape et l’Empereur. Disons à sa décharge qu’il a toujours été admis dans le monde romain que, s’il s’était livré à cette manifestation, c’est qu’il avait reçu de son maître l’ordre de couper court à l’entrevue si elle se prolongeait au-delà de quelques instans. Il faut encore mentionner qu’à la suite de ces incidens, le cardinal Rampolla, secrétaire d’Etat du Vatican, mit tous ses soins à atténuer autant que possible la portée des actes reprochés à l’Empereur et à ses compagnons. Devant le corps diplomatique, il s’abstint de toute allusion à l’hostilité