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JEUNE FTLLE.


Écoutez ma recommandation suprême : mon cher fils, rendez-la bien heureuse ; comblez-la de joie et de tendresse et si, un jour, puisque tout change et passe, vous l’aimez moins, ou vous ne l’aimez plus, ahl mentez-lui bien, je vous prie... jurezmoi de bien lui mentir; continuez toujours à la faire vivre dans l’illusionde la félicité et surtout, surtout... de la jeunesse, et que, dans le miroir de vos yeux, elle ne puisse jamais s’apparaître moins belle qu’elle ne l’est pour vous à présent. Maintenant je pars; qu’entre vous et moi, il y ait cet innocent, ce dernier secret; Marianne croit que je vais passer à Kervenargan quelques semaines et que je serai de retour pour votre mariage. Vous le savez, cela ne se peut. Je pars pour un an et demi ou deux ans, qui sait? Resterai-je près de la mère de Jamine? Voyagerai-je avec Perrette? Le destin décidera. Quand je reviendrai, je serai si vieille que vous aurez peine à me reconnaître et que notre réunion n’offrira plus le moindre danger.

Si je dis cela dès maintenant à Marianne, elle s’attristera, se demandera pourquoi, etc. Au moment même de son bonheur au contraire, elle acceptera d’un cœur léger tout ce qui la fera plus librement à vous.

Je pars vendredi. Arrivez samedi, afin qu’elle ne soit pas seule plus d’un jour. Et ne me répondez pas; je vous en dispense ; malgré tout votre talent, cette lettre-là serait trop difficile à écrire.

Adieu; mon rôle est fini. J’envoie promener mes lunettes et ma perruque ; je redeviens celle que vous appeliez Juliette aux pieds joyeux... Mes pieds joyeux m’entraînent vers la vie. Ne me regardez pas, voulez-vous, pendant que j’enlève mon déguisement : Finita la commedia. Juliette, jeune première ou grand’tante, remet ses rôles en d’autres mains. Attendez que je sois un peu partie et, quand au bout de l’avenue de votre mémoire vous me jugerez assez lointaine, ouvrez les yeux, je vous le permets : vous me verrez alors, forme rapetissée et toute sombre, me détourner pour vous jeter du bout des doigts, dans un baiser, tous les vœux de mon cœur sincère et le dernier de mes souvenirs.

« Juliette. »

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