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annexés à l’empire austro-hongrois, si l’attitude du Cabinet de Vienne à notre égard justifiait une pareille concession. Si Andrassy refusait cette rédaction, il dévoilait sa mauvaise intention. S’il acceptait, nous restions maîtres de juger si sa conduite nous paraissait justifier l’annexion. L’idée fut approuvée, et l’Empereur ordonna à M. de Giers d’en faire, d’accord avec moi, la rédaction qui devait lui être soumise.

Lorsque la séance fut levée, a une heure, et que je me mis à l’œuvre avec M. de Giers, apparut chez lui le comte Dmitry Kapniste, qui remplissait les fonctions de chancelier du ministère, et s’imposait, suivant son habitude, à son chef. Il prit connaissance des décisions arrêtées, et, intervenant dans la rédaction, tint à faire prévaloir la sienne, qui différait sensiblement de ce qui avait été résolu. Je les laissai à la besogne, car je dus, à deux heures, prendre le train pour Pétersbourg et Oranienbaum, où ma mère, mon frère et mes sœurs, que je n’avais pas vus depuis près de deux ans et demi, m’attendaient avec impatience pour une courte entrevue. Je fus de retour à Tsarskoyé le lendemain (c’était un dimanche), à huit heures du matin ; je revis M. de Giers, et, à dix heures et demie, je me retrouvai dans le train pour me rendre à Berlin. Arrivé là mardi, à six heures du matin, j’allai trouver aussitôt le comte Schouvaloff, qui était justement en train de partir pour sa promenade matinale, et c’est en marchant dans les rues de Berlin que je lui rendis compte de mes impressions et de tout ce que j’avais vu et entendu.

Le Congrès continua ses travaux ; peu de questions restaient à résoudre. Une des plus importantes était encore la délimitation en Asie. Le prince Gortchakof, qui, entièrement rétabli de sa maladie, faisait mine d’avoir lié amitié avec Beaconsfield et prétendait quelque peu le dominer, s’était chargé de régler l’affaire personnellement avec lui. L’état-major nous avait donné trois tracés de lignes. Si ma mémoire ne me trompe pas, la première ne faisait abandon, comparativement à San Stefano, que du district de Bayazid ; la seconde y ajoutait quelques autres parties du territoire ; enfin, la troisième cédait aussi Batoum et ne gardait que le district de Kars. J’avais appris par Oubril que Gortchakof voulait obtenir le consentement de Beaconsfield à la deuxième ligne, qui, cependant, faisait de grandes concessions très onéreuses, et cédait entre autres choses le district