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donner. Il sera enchanté de causer avec vous. Je sais bien que la mission est délicate et difficile. Vous aurez des choses pénibles à dire au souverain, vous aurez surtout à lui arracher des décisions encore plus pénibles, mais j’ai pleine confiance dans votre habileté et votre patriotisme pour vous demander ce service. Votre santé vous permet-elle d’entreprendre un voyage aussi fatigant, car vous devrez revenir le plus tôt possible à Berlin, l’affaire presse, on est impatient de finir et il faut que je sache comment je dois agir. Dites surtout à l’Empereur que s’il est mécontent de la marche des affaires et veut rompre, rien n’est plus facile : je puis le faire à chaque instant en me butant sur un point quelconque. Mais, si nous persistons à vouloir en sortir pacifiquement comme au début, nous sommes obligés de faire des concessions et de nous montrer coulans… »

Je répondis au comte que, quel que fût l’état de ma santé, l’affaire était trop sérieuse et trop difficile pour que je pusse vouloir m’y soustraire, que je me sentais assez de force pour aller et revenir, quel que fût le prix auquel j’achèterais cet effort, et je me préparai au voyage qui devint pour moi le point personnel le plus intéressant de tout le Congrès.


Le prince Gortchakof ayant été mis par le comte Schouvaloff au courant de la mission qu’il comptait me confier, l’approuva et me fit venir pour me donner de son côté quelques vagues indications sur ce que j’avais à dire à l’Empereur ; mais les principales instructions me furent données par Schouvaloff au cours de plusieurs séances que nous eûmes à cet effet, dans lesquelles nous passâmes en revue presque toutes les questions traitées par le Congrès ou sur le point de l’être. Je prenais des notes sur tout ce que me disait l’ambassadeur et, sans avoir eu le temps de les mettre en ordre, je partis avec ce dossier, composé de feuilles séparées couvertes d’une écriture hâtive.

Je quittai Berlin, je crois, le 21 juin au soir. Le surlendemain, j’arrivai à la station 4’Alexandrovskoye, près Tsarskoyé, où M. de Hambourger, prévenu par télégramme, m’attendait pour me mener immédiatement chez M. de Giers qui gérait le ministère et habitait le grand palais de Tsarskoyé, lieu de séjour de l’Empereur. Sa Majesté avait fixé le lendemain, dix heures du matin, pour mon audience, mais je pus dès le soir même mettre M. de Giers au courant des principaux points qu’il