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Nobiling, et avait remis les rênes du gouvernement au prince royal (depuis Frédéric III). C’est celui-ci qui présidait le dîner, lequel fut brillant et signalé seulement par un speech de bienvenue, lu par Son Altesse Royale. Je me trouvais placé, d’après l’ordre d’ancienneté que l’on avait observé, à côté de sir Montague Corry, secrétaire privé de lord Beaconsfield, élevé après le Congrès à la pairie, sous le nom de lord Rowton. Des rapports très agréables s’établirent entre nous et nous pûmes les cultiver à l’aise, puisque, à la plupart des repas officiels qui se succédaient, nous nous trouvions assis à côté l’un de l’autre.


J’ai peu de choses à noter sur la marche des travaux du Congrès. Je n’en ai gardé qu’une impression pénible, le souvenir d’une situation humiliante contre laquelle on faisait peu ou presque rien pour réagir. Ainsi, dès les premiers jours des travaux, l’arrogance anglaise et la complaisance de la plupart des autres vis-à-vis de la Grande-Bretagne s’affirmèrent d’une façon éclatante. Lord Beaconsfield, quoique connaissant parfaitement le français et le parlant couramment, prétendit parler anglais, et quoique plusieurs membres du Congrès ne comprissent pas cette langue (entre autres M. d’Oubril), personne n’osa protester ni même faire observer que le français était la langue diplomatique reconnue dans toute l’Europe, et qu’il n’y avait pas lieu, sans un accord préalable, d’y déroger. Vers la fin du Congrès, un second témoignage flagrant de la prépotence britannique et de la couardise de tous les autres a été donnée au monde. Le Globe venait de publier, par indiscrétion voulue peut-être, la nouvelle de la conclusion entre la Turquie et l’Angleterre d’un traité par lequel l’île de Chypre était cédée à cette dernière, contre l’obligation de soutenir la Turquie en Asie Mineure et d’y surveiller l’application des réformes promises. C’était une atteinte portée à l’intégrité de l’Empire ottoman, garantie par les Puissances qui étaient justement réunies pour statuer sur les modifications que la dernière guerre avait apportées aux possessions du Sultan. Le coup de théâtre, préparé dans le plus profond secret, faisait naturellement l’objet de tous les entretiens et des commentaires les plus divers. Mais personne n’osa interroger les Anglais, ni élever la voix pour porter cette question devant le Congrès auquel elle ressortissait directement, ou au moins signaler cette violation du droit public européen. J’en exprimai