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En effet, des questions compliquées surgissaient de toute part. L’Autriche, à laquelle notre ambassadeur, M. de Novikow, n’avait même pas eu le courage de demander une réponse à la communication de nos projets de bases de paix, faits par la lettre de l’Empereur, de Paradim, prenait ouvertement une attitude hostile et nous accusait, non sans quelque apparence de raison, de mauvaise foi et de violation des arrangemens conclus avec elle avant la guerre. Le général Ignatieff y fut envoyé pour des explications. Le choix n’était pas heureux, car il inspirait personnellement de la haine à Vienne et de la méfiance partout. Il fit de son mieux pour briser l’opposition du comte Andrassy, mais n’y réussit guère, les conditions que posait le premier ministre austro-hongrois pour nous soutenir à la future réunion des grandes Puissances, qui aurait à ratifier ou examiner le traité de San Stefano, ayant été jugées trop onéreuses, quoiqu’elles le fussent beaucoup moins que celles que nous fûmes amenés à accepter plus tard, d’abord à Londres et puis au Congrès de Berlin.

Cette situation internationale avait son contre-coup dans l’attitude de la Porte, où, malgré les bonnes relations personnelles qui s’étaient, malheureusement trop tard, établies entre Abdul Hamid et le grand-duc Nicolas, nous rencontrions un mauvais vouloir et une opposition systématiques. Je me vis obligé d’entrer à plusieurs reprises en rapports personnels avec les ministres turcs et de leur faire des représentations au nom du commandant en chef. L’objet principal de nos exigences était l’évacuation des forteresses, sur laquelle on insistait, tant du Caucase (pour Batoum) que de Pétersbourg de la part du ministère de la Guerre, et de celle de l’état-major de l’armée. La situation apparaissait, en effet, de jour en jour plus compliquée, presque dangereuse. L’armée, avancée jusqu’aux murs de Constantinople, avait devant elle une force ottomane qui devenait tous les jours plus considérable, et, protégée par des fortifications élevées sur la ligne de démarcation, pouvait en cas de rupture s’appuyer sur la force navale anglaise, qui avait le moyen de couper nos communications avec Andrinople, en dominant par ses projectiles la seule route carrossable et la voie ferrée, rapprochées de la côte de Marmara. Nous avions sur nos derrières la Roumanie, que nous avions gratuitement blessée et rendue hostile et qui, à la première difficulté, se