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spéciale, fut chargé de le porter à Saint-Pétersbourg. Le général Ignatieff remit son départ jusqu’au moment où la mission ottomane serait prête à partir et, le 26 février, une semaine juste après la signature du traité, un bateau spécial de la Compagnie de Navigation russe emmenait à Odessa le général et Mme Ignatieff, ainsi que Réouf pacha et sa suite.

Ce fut un grand triomphe pour l’ex-ambassadeur, et c’était là un acte de bonne et sage politique. Réouf pacha, homme parfaitement honorable et distingué, était connu pour être partisan d’un rapprochement avec la Russie, et un adversaire des hommes d’État qui avaient amené la guerre, ce qui ne l’avait pas empêché de combattre en vaillant soldat, mais sans succès, contre le général Gourko, surtout lors de son premier passage des Balkans au début de la guerre.

Je restai de nouveau seul représentant du ministère des Affaires étrangères sans mandat spécial ni instruction, avec des affaires dont le nombre et l’importance grandissaient tous les jours, car, la paix rétablie, tous les intérêts privés étouffés par la guerre ressuscitaient et demandaient à être satisfaits, tandis que d’autre part l’exécution de certaines clauses du traité et les réclamations provenant du fait de la guerre exigeaient des mesures immédiates. N’osant pas, sans ordre spécial, entrer en rapports directs avec la Porte, je continuai à profiter de l’intermédiaire de notre ex-premier drogman, M. Onou, qui, résidant à Péra, entretenait des rapports officieux avec les Turcs et aidait a l’aplanissement de difficultés qui surgissaient.

L’echange des ratifications du traité ayant eu lieu à Saint-Pétersbourg aussitôt après l’arrivée du général Ignatieff et de Réouf pacha, les stipulations de cette transaction devenaient exécutoires, et nous devions, d’une part, nous préparer à évacuer les localités que notre armée occupait en dehors de la future frontière turco-bulgare, de l’autre, prendre possession du territoire et des forteresses que le traité de San Stefano arrachait à la Turquie, mais que les troupes et les autorités ottomanes détenaient encore. C’était, pour le premier cas, toute la Thrace avec Andrinople et San Stefano en Europe et Erzeroum en Asie, pour le second, tout le midi de la Macédoine ainsi que Varna et Schoumla en Europe et Batoum avec le district y adjacent en Asie. Comptant sûrement que le traité serait révisé, et encouragé dans cette conviction, tant par le mauvais accueil