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d’occasion et peu fait pour ce service, le comte Zichy est tombé, après son retour à Constantinople pendant la guerre, sous l’influence de l’ambassadeur d’Angleterre, sir Austin Layard, avec la même facilité avec laquelle il avait naguère accepté l’ascendant du général Ignatieff, mais il s’y mêlait chez lui un sentiment de rancune contre ce dernier pour la voie contraire qu’il lui avait fait suivre. En somme, cette visite inopportune, à laquelle je m’étais, malgré les invitations pressantes du général et de sa femme, refusé de m’associer, a produit, tant dans le camp ottoman que parmi les étrangers, la plus défavorable impression.

Quant à l’affaire d’une visite du grand-duc au Sultan, il s’agissait avant tout d’en régler les conditions, et, comme elle ne pouvait avoir lieu qu’après la ratification, des négociations furent immédiatement entamées. Le point scabreux était d’amener Abdul Hamid à rendre au grand-duc la visite qu’il ferait à Sa Majesté. Exiger que le Padischah vînt au camp de ses vainqueurs était impossible. Tout au plus pouvait-on demander qu’il se rendit au palais de l’ambassade à Péra. Mais déjà Abdul Hamid avait commencé à être atteint de la manie de la persécution ; il craignait de sortir hors de l’enceinte de son palais, et ce n’est qu’avec beaucoup de difficulté qu’il avait été amené, quelques semaines auparavant, à rendre à la grande-duchesse de Weimar, mère de l’ambassadrice d’Allemagne princesse Reuss sa visite au palais de l’ambassade germanique, situé au bout du quartier de Péra, tout en face et à proximité du palais de Dolma Baghtché. Le général Ignatieff, se fondant sur les précédens, insistait pour que la visite fut rendue au grand-duc sur terrain russe, et il avait raison en principe. Mais, en pratique, il apparut bientôt que cette difficulté ne serait pas facile à vaincre, et le grand-duc, impatient d’exercer son action personnelle sur le Sultan, disait, avec non moins de raison, qu’il passerait outre à ces formalités, pourvu que le moyen lui fût donné de voir le Padischah dont il se promettait de faire la conquête morale.

La semaine qui suivit la signature du traité de San Stefano fut donc tout entière consacrée aux négociations relatives à ces objets et, si la question de la visite ne faisait que se compliquer, la ratification du traité reçut au contraire une solution relativement très prompte. Non seulement le traité fut ratifié, mais le maréchal Réouf pacha, accompagné de toute une mission