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bataille sont solidaires ; et si le ministre anglais a eu raison lorsqu’il a affirmé avec tant de force que les intérêts de la Grèce et de la Serbie n’en faisaient qu’un, « au point qu’à la longue les deux pays resteront debout ou tomberont ensemble, » il aurait pu ajouter que cette solidarité s’étend encore plus loin, car elle englobe l’Angleterre elle-même et ses Alliés. La chute de la Serbie serait un affaiblissement immédiat pour nous tous.

Les Allemands l’ont compris; il suffit de lire leurs journaux pour connaître leurs projets; ils les exposent avec une complaisance arrogante qui ne permet pas de les ignorer. Leur but est en Serbie Constantinople. Dira-t-on qu’ils s’illusionnent sur les avantages que présentera pour eux cette gigantesque expédition, à supposer qu’elle réussisse ? Alors, que sommes-nous allés faire dans les Dardanelles? Nous aussi, nous avons cru qu’atteindre Constantinople serait un coup de maître et que toute la suite de la guerre en serait fortement influencée. Avions-nous tort ? Nous trompions-nous? Nous laissions-nous égarer par un mirage ? Non, certes ; malheureusement, de grandes fautes ont été faites dans la préparation et dans l’exécution de l’entreprise et elle n’a pas encore abouti. Les Allemands prennent le même programme à leur compte; ils prétendent le remplir par d’autres moyens que les nôtres et nous gagner de vitesse ; ne devons-nous pas faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les en empêcher? Soutiendrait-on que ce programme, qui est bon pour nous, ne l’est pas pour eux ? Ce serait parler contre l’évidence. Tout le monde sent que l’arrivée des Allemands à Constantinople aurait pour le présent et pour l’avenir les conséquences les plus graves. Cherchent-ils du moins à atténuer l’importance de l’événement pour le faire accepter ou subir plus facilement? Loin de là, ils menacent déjà le golfe Persique, l’Inde, l’Egypte, tout le Nord de l’Afrique et annoncent l’intention de puiser dans le monde musulman des millions d’hommes dont ils feront des soldats contre nous. Qu’ils se vantent quand ils étalent déjà devant nous ce tableau de leur grandeur future, nous le voulons bien; ils tournent tout au colossal ; ils suppriment le temps, les distances, toutes les difficultés qui ont jusqu’ici ralenti ou arrêté la marche des autres hommes ; mais qui pourrait dire que tout ici est illusoire, et que ces rêves à la Pyrrhus doivent nous laisser incrédules? Sans aller jusqu’à prendre les choses au tragique, il est prudent de les prendre au sérieux. La Serbie est aujourd’hui la pierre d’achoppement devant les pas de l’Allemagne. Sera-t-elle brisée ? Alors, nous ne disons pas que tout sera perdu, mais un grand mal aura été fait, et il faudra, pour le