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d’idées, — c’est pourtant là l’essentiel d’un Rémy de Gourmont, — ne prise les symboles, miroirs clairs et obscurs de toutes les idées, de celles que favorise la lumière et de celles qui ne souffrent que la pénombre ? Ses poèmes ne sont pas ce que j’aime beaucoup dans son œuvre : il les a écrits, semble-t-il, pour essayer ses théories, et il les présente un peu comme des échantillons d’une prosodie nouvelle ; et puis il a cherché des harmonies très difficiles et qu’il ne trouvait pas toujours. Ses romans, qui pour la plupart réalisent des emblèmes d’idées, sont beaux et, quelquefois, délicieux, par la finesse, la rapidité ingénieuse, la poésie, la gaieté spirituelle, et quelquefois, à mon gré, entachés de cynisme et de perversité surannée. De lourdes impiétés gâtent, si je ne me trompe, Une nuit au Luxembourg, qui est pourtant une adorable rêverie renanienne ; de fortes sensualités gâtent peut-être aussi Le Songe d’une femme, qui serait un charmant volume de fantaisie voluptueuse ; et mille inutilités de physiologie me gâtent Un cœur virginal, cœur cependant joli, drôle et qu’on aime. Un roman de Rémy de Gourmont, Sixtine, porte en sous-titre ces mots : « roman de la vie cérébrale ; » sous-titre que tous mériteraient fût-ce un peu trop. Mais ce cerveau a des ardeurs qui le mènent à la polissonnerie aussi bien qu’à l’idéologie. Tous sont amusans et ont le vif agrément de cet homme « doué de plusieurs âmes de rechange » et si magnifiquement épris de toutes ses âmes qu’il en oublia d’être morose, comme le persuadaient de l’être ses doutes sempiternels, aspects divers d’un même nihilisme.

Survint la guerre. Interrompu dans ses jeux subtils, Rémy de Gourmont donna ce livre tout simple et tragique, Pendant l’orage. Brusque réveil d’un amateur d’idées : l’artiste n’est plus qu’un bon Français pareil à tous les autres. Il ne dissocie pas de la métaphysique générale l’idée de patrie. Il préfère à tout absolu, et même à toute contingence, la délivrance du sol français et la reprise de l’Alsace ; un Romain Rolland lui fait pitié.

La littérature qui naîtra des conjonctures nouvelles, nous ne la devinons pas. L’œuvre de Rémy de Gourmont, littérature d’hier, est digne de souvenir. Je n’en ai pas dissimulé les tares ; mais le péché que Saint Hilaire de Poitiers condamne au treizième chapitre de son Traité des Psaumesv Rémy de Gourmont ne l’a point commis, le péché de mauvais style.


ANDRE BEAUNIER.