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tout. Quand M. Le Dantec se désole ainsi : « c’est pour moi une grande douleur de voir méconnaître le transformisme au moment où je croyais qu’il avait conquis le mondo, » Rémy de Gourmont, qui a suivi toutes les tribulations du transformisme, sait ce que vaut ce chagrin et console M. Le Dantec. Quand M. René Quinton publie L’eau de mer, milieu organique, il y a là une authentique nouveauté que Rémy de Gourmont saisit tout de go. Voire, il n’a pas attendu le volume et, dès les premières communications de ce savant, célèbre depuis lors, à l’Académie des sciences, il courait après le savant, se faisait expliquer l’invention, la révélait avec autant de claire exactitude que d’allégresse et de son côté, sur les données de la permanence physique et physiologique, il établissait une loi de « constance intellectuelle, » qui semble contredire le transformisme général, mais ne le contredit pas, et qui associe aux caractères de mutabilité le principe de l’invariabilité essentielle, et qui pourrait fournir à l’histoire de la pensée humaine, pareille et enrichie, une règle ou une méthode.

Cette règle ou cette méthode, avant même d’en avoir rédigé la formule, ne l’a-t-il pas appliquée, dans ses études, si nombreuses et attentives, dont notre littérature est l’objet ? n’a-t-il pas montré la diversité des œuvres et, au cours de six siècles féconds, la durée du génie français qui, sans se dénaturer, multiplie ses prouesses ? Il lui fallait, pour cette belle exhibition, connaître tous nos écrivains et les connaître, comme il dit, « d’original. » Cette obligation ne le gêne pas ; et il a tout lu : pour peu qu’on ait seulement parcouru tels ou tels plus fameux historiens de notre littérature, on voit que l’auteur des Promenades littéraires est, parmi eux, un monstre. Le moyen âge lui est familier : les poèmes du moyen âge et aussi la langue du moyen âge, comme à un philologue. Il a eu, pour ses travaux, l’assentiment de Gaston Paris, « dont nous sommes tous les disciples ; » et il s’en fait honneur, à bon droit. Les problèmes de l’étymologie, de la phonétique et de la sémantique ne lui sont pas étrangers. Si M. Paul Meyer, incontestable philologue, propose à l’Académie une réforme de l’orthographe dont les articles dérivent du passé même de la langue, Rémy de Gourmont le chicane heureusement. On écrira désormais gajure, au lieu de gageure ; pourquoi ? Pour maintenir la prononciation, qui autrement se perdra : ainsi, au XVIIe siècle, si l’on en croit M. Paul Meyer, on prononçait bonhur et malhur ; l’Académie oublia de supprimer la lettre inutile, et nous disons bonheur et malheur. On disait bonhur et malhur ? Rémy de Gourmont se récrie : c’est qu’il n’ignore pas, lui, le XVIIe siècle plus que le moyen âge. Mais