Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celles-ci à ceux-là. Il avait leur méthode ; et il avait aussi leur désordre : quand on aime passionnément les faits et les idées, on ne renonce point à ceux ou à celles qui n’entrent pas dans la combinaison la plus logique et, si rationaliste qu’on soit, on a des complaisances de fantaisie. Il avait, de même qu’eux, cette noblesse de l’esprit que donne l’étude continuelle, cette fierté de l’âme que donnent le désintéressement à l’égard de toute mesquinerie et le souci coutumier des problèmes les plus estimables ; et il avait, de même qu’eux, un étonnant libertinage de l’imagination, pour tout dire un drôle de goût de l’obscénité, qui semble contraster avec tant de sagesse et qui en est le divertissement bizarre. Ajoutons leur athéisme, et leur impertinence d’athéisme, et leur manie du badinage anticlérical. Avec tout cela, de la poésie, les plus charmantes finesses du sentiment, de la bonhomie, de la grâce et une souveraine limpidité de la pensée.

Il a écrit sur toutes choses, anciennes ou récentes, sur la philosophie, l’histoire et la science, sur la théologie et la littérature, et sur l’art, et sur les mœurs, et sur les gens, sur le détail et sur la totalité de ce qui existe ou n’existe pas, sur les anecdotes et les rapports qu’elles entretiennent avec l’infini. « Nous sommes entourés de questions, nous vivons dans une forêt de questions ; où que nous jetions les yeux, une question se dresse ! » dit-il ; et voilà son bonheur, c’est qu’il y ait tant de questions que l’on soit certain de n’en pas manquer. Il ne les ménage pas. Il est au milieu d’elles comme un faune dans la forêt fabuleuse : il les a toutes caressées ; il les abandonne et il leur revient, plus amical, frivole assez pour les aimer toutes, fidèle à toutes. Les six tomes de ses Epilogues, les cinq tomes de ses Promenades littéraires, les trois tomes de ses Promenades philosophiques et encore quelque dix volumes de critique ou d’essais variés[1] composent ou entassent un magnifique trésor des connaissances les plus dignes d’occuper une tête moderne. Or, sur tant de questions extraordinairement diverses, Rémy de Gourmont n’apporte pas seulement une chronique et, je veux dire, un ingénieux et léger commentaire, mais une opinion sérieuse et qui tient compte des opinions antérieures, les discute, les écarte ou les admet, ne les remplace qu’à bon escient. Il n’improvise pas : il a travaillé. Il prétend, — et il « avoue, » oui, avec un peu de coquetterie, — qu’il n’a

  1. Ces volumes, et presque toute l’œuvre de Rémy de Gourmont, à la librairie du Mercure de France ; ajoutons Pendant l’orage, volume tout récemment publié par l’éditeur Edouard Champion, au profit de l’œuvre « du vêtement du prisonnier de guerre. »