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des ambitions, hélas ! hors de saison : « Trompé par l’expression les traités de 1814 que nous employons souvent en France pour désigner l’ensemble des conventions qui fixèrent les limites de la France à la chute du premier Empire, vous avez cru que je demandais après Sedan qu’on revînt sur les cessions de 1815, qu’on nous rendit Sarrelouis et Landau. Je suis fâché d’avoir été présenté par vous au public allemand comme capable d’une telle absurdité. »

Les thèses alsaciennes de Renan avaient excité la verve pesante de l’érudit wurtembergeois. Renan éprouve le besoin de s’expliquer. Il fait observer à son adversaire que l’Alsace, avant d’être un pays germanisé, était un pays celtique et qu’aussi bien « presque partout où les patriotes fougueux de l’Allemagne réclament un droit germanique, nous pourrions réclamer un droit celtique antérieur. » Au surplus, l’Alsace « ne désire pas faire partie de l’Etat allemand. Cela tranche la question. » Ronan aurait dû écrire : « Cela tranche la question pour un Français ; » mais l’argument était de peu de poids pour un Allemand et déjà plusieurs précédons en faisaient foi. L’animosité des peuples annexés avait-elle empêché la Prusse de s’annexer Polonais et Danois ?

En septembre 1871, Renan ne pouvait plus croire et ne croyait plus à la modération allemande : « Je ne crois pas, avoue-t-il, à la durée des choses menées à l’extrême et je serais bien surpris si une foi aussi absolue on la vertu d’une race que celle que professent M. de Bismarck et M. de Moltke n’aboutissait pas à une déconvenue. L’Allemagne, en se livrant aux hommes d’Etat et aux hommes de guerre de la Prusse, a monté un cheval fringant qui la mènera où elle ne veut pas. » Les paroles prophétiques abondent dans cette seconde lettre, bien qu’un reste de tendresse pour les Germains et la Germanie perce toujours par-ci par-là. Renan par le encore aux Allemands comme à des amis qu’on met en garde : « Une suspicion universelle contre votre puissance d’assimilation, contre vos écoles va se répandre. Un vaste effort pour écarter vos nationaux que l’on envisagera comme les avant-coureurs de vos armées sera pour longtemps à l’ordre du jour. »

Dans une autre page divinatrice, Renan signale à l’Allemagne le péril d’une alliance franco-russe. La Prusse, qui avait trouvé fort légitime de s’allier à la Russie contre Napoléon, n’a