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Il disait à Strauss : « Ceux qui croient comme vous que la France est nécessaire à l’harmonie du monde (mais Renan faisait erreur, Strauss ne le croyait pas) doivent peser les conséquences qu’entraînerait un démembrement. » C’est par l’Alsace que les idées et les méthodes allemandes pénètrent en France. En outre, le peuple alsacien préfère rester français. Ernest Renan estime que le vœu de l’Alsace tranche la question. L’Alsace doit rester française.

La France n’admettrait pas qu’il en fût autrement. Si l’on nous démembre, déclare Ernest Renan, c’est la guerre de revanche et l’alliance russe. Si l’on nous ménage, nous oublierons et formerons avec l’Allemagne et l’Angleterre une alliance « dont l’effet sera de conduire le monde dans les voies de la civilisation libérale. »

Tel est le sens de cette première lettre à David Strauss.

La discussion n’aurait peut-être pas continué, si Ernest Renan n’avait inséré dans la Revue des Deux Mondes, deux jours après son article des Débats, une étude sur la Guerre entre la France et l’Allemagne, qui indigna David Strauss et lui remit la plume à la main. Ernest Renan se bornait pourtant à développer dans son article de la Revue les idées qu’il avait esquissées dans son article des Débats.

C’étaient les mêmes doléances sur la brouille des deux pays : « J’ai toujours regardé la guerre entre la France et l’Allemagne comme le plus grand malheur qui pût arriver à la civilisation. » Renan redoute les suites ; il craint que la paix qu’on fera n’aggrave la situation et répète que l’Allemagne aurait grand tort d’annexer l’Alsace-Lorraine. Dans son article de la Revue comme dans celui des Débats, il s’exprime à cet égard avec une entière clarté. Non pas qu’il juge qu’en ce qui concerne l’Alsace, l’ancien régime soit sans reproche. La royauté française eut, à ses yeux, grand tort d’abuser du marasme où la guerre de Trente Ans avait plongé l’Allemagne. Elle fit alors ce qu’elle n’avait jamais fait. Renonçant à la règle si sage qui consistait à n’annexer aucun territoire de langue étrangère, elle s’empara de l’Alsace où l’on parlait allemand : « Le temps a légitimé cette conquête, observe-t-il toutefois, puisque l’Alsace a pris une part si brillante aux grandes œuvres communes de la France. Il y eut cependant, dans ce fait qui, au XVIIe siècle, ne choqua personne, le germe d’un grave embarras pour l’époque