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est maintenant comme un animal échappé. Lorsque sa mère s’en plaint à son père, il rit à s’en rendre malade. La chose n’est cependant pas du tout risible, car, avec ce genre de vie, ce garçon, qui est délicat, se tuera le corps et l’âme ; ce n’est que trop certain…

« Le sous-gouverneur de mon petit-fils, qui est un homme fort vertueux, est tellement affecté que je crains qu’il n’en perde la vie. »

Le gouverneur n’en mourut pas, et la santé de l’élève n’en reçut, que l’on sache, aucun dommage sérieux. Avec la grâce ailée qu’elles déploient pour paraître et disparaître en scène, les « filles d’Opéra » traversèrent, sans appuyer, la vie du Prince.

Le voilà donc hors de page, il a seize ans, mais ne les paraît pas ; il est « petit et mince pour son âge » et « terriblement délicat, » dit sa grand’mère qui s’émerveille d’une surprenante facilité d’esprit, apprenant tout ce qu’on voulait, « honnête, bon, bien élevé, avec des dispositions pour toutes les vertus. »

Son père, pour commencer, lui fait donner voix délibérative au Conseil de Régence où il siégeait déjà depuis un an. Peu de temps après, il est nommé gouverneur du Dauphiné ; puis, pour ses dix-huit ans, le Régent fait revivre en sa faveur la charge considérable de colonel général de l’Infanterie française et étrangère qui n’avait pas été remplie depuis le règne de Henri III. Barbier rappelle que les rois avaient considéré cette charge comme dangereuse à leur autorité, à cause du grand crédit dans l’armée qu’elle donnait au titulaire.

Le Régent attendait beaucoup de son fils, ou, tout au moins, s’efforçait de le faire valoir ; mais Saint-Simon, qui avait ses raisons de ne pas l’aimer, prétend qu’en entendant opiner le Duc de Chartres, son père ne tarda pas à regretter de lui avoir fait donner voix au Conseil.

Bonnes ou mauvaises, cet adolescent avait des idées très personnelles qu’il défendait avec opiniâtreté, la résistance étant, d’après Richelieu, la base de son caractère. Et ces idées étaient tout juste le contre-pied de celles du Régent, dont il n’avait, dit le maréchal, « ni les vices, ni les qualités, tout étoit respectivement contradictoire dans ces deux personnages, et ce qu’on assuroit de l’un, à coup sûr on devoit le nier de l’autre. »

Les illusions paternelles du Duc d’Orléans, si tant est qu’il