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la Cour. De chez le Roy, on me mena chez Madame ma grande mère. M. de Court n’entra point avec moy, parce qu’elle prenoit sa chemise, mais la nouvelle de ma réponse lui estoit déjà parvenue. Elle me fit raconter ce que le Roy m’avoit dit et ce que j’avois répondu, et puis s’attendrit en disant : « — Cet enfant ne vivra pas, il a trop d’esprit. » Cependant il n’y avoit point d’esprit dans ma réponse. J’avois déclaré mes véritables sentimens.

Lorsque le Roy fut déclaré fort mal, je vis mon père se promener sur la terrasse sur laquelle mes fenestres donnoient, avec une suite très nombreuse. Il vint un charlatan qui donna son remède et procura un petit mieux sur lequel on prit espérance. Ce jour là je vis mon père se promener teste à teste avec M. de Saint-Simon qui estoit son ami décidé et qui ne l’avoit point abandonné dans les temps où le Roy avoit esté le plus irrité contre luy. Dans la vérité, il avoit esté coupable, ayant, pendant qu’il commandoit les armées en Espagne, entamé une négociation directe avec les ennemis. Je luy ai ouï dire qu’elle ne fai-soit aucun tort au roy d’Espagne, mais c’est toujours un crime à un sujet que de négocier pour soy même avec les ennemis de l’Estat à l’insu de son souverain.

Lorsque la lueur d’espérance qui ne dura qu’un jour fut passée, on m’emmena à Saint-Cloud. Ce fut là où j’appris comment mon père avoit esté reconnu Régent au Parlement, et le testament du Roy qui, en luy donnant ce titre dû à sa naissance, faisoit plusieurs autres arrangemens pour restreindre son autorité, cassé.

Dans ce commencement de la régence de mon père, le duc de Noailles, aujourd’huy mareschal, avoit sa principale confiance, et le public applaudissoit aux choix et aux opérations qui se faisoient, quoyqu’il ne se fust pas autant affiché pour ami personnel de mon père que le duc de Saint-Simon.

Cependant, du vivant du Roy, il venoit souvent voir luy ou ma mère, et estoit d’un tour de familiarité et d’amitié dans la maison. Il me trouvoit de l’esprit et m’appela un jour son dialecticien, ce qui m’apprit ce que c’est que dialectique, car je luy demandai la signification du mot.

On me laissa à Saint-Cloud jusqu’au 4 de janvier 1716. Pendant ce temps, il m’arriva deux choses dont il faut parler icy.

En lisant les autheurs anciens, j’y avois vu de grands